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Au fil des décrets et persécutions

par Moshé Tchernirsky – Ramle

Traduit par S. Staroswiecki

En 1905, je suis devenu un résident de Kałuszyn et j'ai commencé mes activités au sein de la communauté juive en 1912. Lorsque la 1ère guerre mondiale a éclaté en 1914, j'ai organisé un comité d'assistance dont le but était d'aider les familles des mobilisés. Beaucoup étaient partis au front et avaient laissé femmes et enfants sans moyen de subsistance. Le comité, constitué de David Rougé, David Gelibter, Israël Abraham Feigenboim, Mendel Sharfharts, Itzhak Munk et moi-même, en qualité de Président, avions organisé cette aide grâce à des versements que nous avions reçus des personnes les plus aisées de la ville ; Nous avions également prélevé un impôt sur la vente de la viande et cela avait pris beaucoup de temps avant que les abatteurs rituels et les bouchers acceptent cette mesure. Nous nous étions également occupés d'aider les Juifs libérés du service militaire. C'est à cette époque qu'a débuté le commerce des billets blancs et rouges. Les rouges devenaient bleus et les bleus devenaient blancs… Le Dr Regalski en possédait un grand nombre et avait parfaitement compris le langage de l'argent liquide…….

 

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Moshe Tchernitski

 

Les ennuis ont commencé en 1915 à l'arrivée des allemands. Une ville était isolée de l'autre, et par conséquent, les fabricants de Taliths de Kałuszyn souffraient beaucoup du fait qu'ils étaient dépendants des contrées lointaines. J'avais organisé à cette époque un comité d'entraide aux fabricants de Taliths. Sous la direction de Pessah Shpak, le comité d'aide était chargé d'apporter une aide aux familles des fabricants de Taliths.

La ville en voyait des dures avec les centaines d'habitants de Pinsk chassés par les Allemands et forcés de s'installer à Kałuszyn. Les expulsés de Pinsk étaient presque tous persona non grata et leur comportement à Kałuszyn montrait qu'ils n'étaient pas des saints…. A chaque fois, on apprenait d'ici et là que des vols avaient été commis. Du bois avait été volé dans le petit bois appartenant à Itzhak Munsk. A cette occasion, nous avions formé une police de surveillance juive comprenant entre autres : David Zylberberg, Alter Tchelandniski, Shlomo Zylberberg, Mendel Groshke, et Petshak, un non-Juif. Alter Roizenman était à la tête de cette police et Zisman était son commandant. Elle avait été créée avec l'accord des allemands. Le but de cette surveillance était de lutter contre les vols et de faire attention aux conditions sanitaires. Elle a existé jusqu'en 1918.

En 1916, pour la première fois, des élections municipales se sont tenues à Kałuszyn. Le dirigeant des chrétiens de la ville, Stach a mené des négociations avec moi-même pour que nous renoncions aux élections et que nous nous répartissions conformément à un accord. -une moitié juive, une moitié non juive. J'ai refusé et ai exigé des élections arguant que les Juifs devaient recevoir ce qui leur revenait du fait qu'ils constituaient la majorité. Les élections se sont donc déroulées. L'ordre des votants : - respectivement les commerçants, les artisans etc… Sur les 12 conseillers municipaux, 8 Juifs avaient été élus. Mordechai Yehuda Domb, Yenkel Bjitwe, (l'officier de santé) Haïm Simha Weintraub, Yehetzkel Lutzker , Itche Meïr Gelbhardt, Israël Abraham Feigenbaum ,Yoshua Winokamien et moi-même. Parmi les personnes élues, Il y avait des représentants de tous les milieux juifs, commerçants, artisans, cercles intellectuels et chacun venait aux réunions du conseil municipal vêtu à sa façon. (Reb Itshe Meïr, par exemple avait l'habitude d'accourir aux réunions avec sa cape et on le reconnaissait aisément. Le maire s'appelait Stach, un non-Juif libéral avec qui on pouvait s'entendre. Lors du choix des commissions, les rapports furent les suivants : 2 Juifs et un non-Juif. Les 2 conseillers municipaux juifs, Israël Rougé et David Gelibter, le catholique Butkansky. Cette “gestion des affaires” a existé jusqu'après la guerre, jusqu 'à la libération de la Pologne. Dès l'indépendance de la Pologne, de nouveaux ennuis ont commencé. Au moment de la guerre polono-bolchevique, quand l'armée polonaise déambulait dans la ville, il y avait des troubles à chaque fois. Les soldats faisaient des incursions dans les commerces juifs et les boulangeries pour voler et commettre des pogroms. Du fait que la raison essentielle était la chasse au pain, nous avons fait en sorte que les jours ou les militaires traverseraient la ville, ils trouveraient du pain et des cigarettes disposés sur des tables. Les soldats le prenaient comme un cadeau et on put ainsi éviter qu'ils ne mettent les commerces à sac et commettent des pogroms.

A la veille de l'invasion bolchevique, la ville était dans un état de désordre total et il n'y avait pas d'autre choix. - Si je ne me protège pas, qui le fera ? Et nous avons mis en place une milice populaire de 100 policiers dont la majeure partie était des Juifs.

Les soldats sévissaient dans la rue, s'en prenaient aux uns ou aux autres, défonçant à chaque fois les commerces et les pillant.

Et voici que l'on se précipite vers moi en poussant des cris et que l'on défonce les portes de Noah Lewin et de Pessah Mankremer. Je me suis immédiatement rendu au conseil municipal et me suis plaint au commandement militaire que les soldats se comportaient en voyous dans la ville. Le commandant a écouté ma plainte jusqu'au bout et m'a répondu avec dédain - “A chaque instant un autre petit morveux de Juif vient se plaindre”. Je lui répondis que je venais en qualité de représentant officiel des Juifs et de la ville et qu'il était de son devoir de maintenir l'ordre. Ma position entêtée eut de l'effet sur lui et il dépêcha immédiatement quelques officiers pour rétablir l'ordre en ville.

Un beau matin, Tanhoum Beder m'a réveillé m'annonçant que des soldats se déchaînaient dans le magasin d'Abraham Gordon. A mon arrivée sur place, ils m'ont expliqué qu'ils étaient à la recherche de cigarettes cachées ainsi que d'armes. Il était clair que toute cette histoire à propos d'armes n'était que poudre aux yeux et un prétexte. Je leur ai proposé de procéder à une fouille, en à ma présence, à charge pour eux de trouver des armes. Ce n'est qu'alors qu'ils se sont retirés dans l'embarras. Dans toutes mes interventions, le conseiller chrétien Butkowsky m'a beaucoup épaulé. A chaque fois que je l'appelai, il me venait en aide. Durant de longues années, les non-Juifs de la ville ont mené campagne dans les cantons pour que le marché soit transféré en un autre lieu, sur la grand- place vers l'hôtel de ville. Il était clair qu'il s'agissait de transférer le marché du quartier juif vers le marché non-juif afin d'ôter leur source de revenus aux Juifs. La guerre menée pour l'emplacement du marché recommençait à chaque fois jusqu'à ce que, pour une fois, on réussisse par une astuce à réduire à néant cette menace et supprimer ce point de l'ordre du jour.

Le conseil municipal avait organisé une soirée de fête en l'honneur du staroste (haut fonctionnaire). et j'ai profité de sa bonne humeur. Tous les conseillers et notables non-juifs et juifs étaient assis autour du staroste (haut fonctionnaire). On avait disposé sur la table des boissons et de bons plats, “keyad hamelekh, vyehi ketov libo beyaiin” (à profusion et le vin le mit dans de bonnes dispositions)…. J'ai salué le staroste et lui ai dit, au moment propice, qu'il était temps de donner un bel aspect à la ville et qu'il faudrait, en son honneur, décorer de plantes la place aux chevaux et transformer cette grande place vide en jardin municipal. Le staroste, bien imprégné de boisson et de nourriture, accepta immédiatement et conclut l'affaire avec enthousiasme en disant que l'on devait se mettre au travail toutes affaires cessantes. Les non-Juifs avaient compris ce que j'avais fait. Ils ont voulu dire quelque chose, mais il était trop tard, le staroste avait rendu son jugement et cela nous suffisait…

Et c'est ainsi que la proposition de transfert du marché municipal de la grande place au marché aux chevaux dans le quartier non-juif fut annulée… Lorsque les bolcheviques débarquèrent, je fus arrêté avec d'autres membres du conseil municipal dont le curé. Pour ce qui concerne les Juifs, on avait arrêté Yudel Pienknaviesh, et Israël Abraham Feigenboim. On nous avait accusés d'avoir organisé un comité pour aider l'armée polonaise. On nous a emmenés à Siedlce et fait passer au tribunal où Karl Radek était également présent. Avec les conseillers municipaux et le curé, nous , Juifs avons été, torturés en prison. Mais, sans faire ni une ni deux, les bolcheviques ont entrepris leur retrait, à la suite de leur défaite sur la Vistule et on nous a délivrés dans la plus grande confusion. Sur les routes, infestées de militaires nous avons tenté de nous mettre en route vers Kałuszyn. Lorsque nous nous sommes approchés de Boïmie, nous avons entendu sur la route que là bas, on tuait les Juifs et on nous a proposé d'éviter ce chemin, mais nos compagnons de voyage, les conseillers chrétiens de Kałuszyn ont juré qu'ils intercèderaient en notre faveur. A Boïmie, on avait tué 23 Juifs de Kałuszyn qui s'étaient enfuis en direction de Siedlce avec l'Armée Soviétique en déroute. A l'arrivée des Juifs à Boïmie, les paysans de Boïmie et les soldats polonais les avaient attendus et tués avec cruauté.

Et, lorsqu' à notre tour, nous sommes arrivés à Boïmie, les mêmes personnes déchaînées, pleines de haine dans leurs yeux, sont venues à notre rencontre, mais les conseillers polonais sont intervenus en notre faveur et ont déclaré que nous avions été avec eux dans les prisons soviétiques et que nous Juifs, les avions sauvés. Après d'instantes intercessions des conseillers municipaux, on nous a laissé partir de Boïmie et nous nous sommes dirigés vers Kałuszyn.

A notre arrivée en ville, nous avons trouvé un vide complet et un chaos total. Toutes les portes étaient closes et les soldats allaient et venaient pour piller. On avait tout saisi chez Haïm Torbiner et Dove. Et les bandits s'approchaient également de mon voisin Gamzo. Je suis allé directement voir le maire pour y mener des négociations avec le commandant, un Poznantchik, et exigé qu'il calme ses soldats. Mes intercessions n'ont pris effet que lorsque je lui ai promis de trouver de beaux appartements pour ses soldats. J'ai prié également le commandant de m'autoriser à transférer les morts de Boïmie et de les enterrer au cimetière de Kałuszyn. Au début, il n'a pas été d'accord mais, après lui avoir expliqué la nécessité d'ouvrir les tombes pour établir l'identité des morts afin que les femmes ne soient pas considérées comme abandonnées ( selon la Loi ), il a accepté et envoyé quelques soldats pour retirer les morts de Boïmie et les transporter à Kałuszyn. Les évènements de Boïmie sont arrivés jusqu'à la diète polonaise. Noah Prilutzki a beaucoup œuvré dans ce sens, et quelques semaines plus tard, une commission gouvernementale s'est présentée afin d'enquêter sur l'affaire de Boïmie. On a ouvert les tombes pour la seconde fois, exhumés les cadavres et il était pénible de voir de quelle façon on extrayait avec des bâtons les corps à moitié décomposés, comme si ce n'étaient que des charognes et non pas des être créés à l'image de Dieu. …

Les persécutions contre les Juifs ne cessèrent pas. Les Juifs furent accusés d'avoir collaboré avec les bolcheviques. A chaque fois, la “défensive”, la police secrète polonaise procédait à des arrestations de Juifs polonais, et à chaque fois je devais à utiliser d'autres moyens pour intervenir auprès des gendarmes et sauver les personnes accusées.

Trois Juifs, Shlomo Popovski, Mendel Oliarniks et le fils de quelqu'un de Mrozi ont été traduits en cour martiale. On a d'abord pensé que leur peine ne serait que de deux ans, mais deux semaines plus tard, la sentence de mort a été prononcée et ils sont passés devant un peloton d'exécution. Les non-Juifs de la ville mettaient à profit cette situation, prétendant que les Juifs avaient trahi et ne devaient plus constituer la majorité au conseil municipal. Les représentants Juifs ont été convoqués et on a tenté, dans les cris d'obtenir notre consentement par la force. On nous a soumis un protocole afin que nous le signions, stipulant que nous serions prêts à rester au conseil municipal à condition d'être minoritaires, et qu'il n'y aurait pas d'élections. Je n'ai en aucune manière accepté de signer et malgré toutes les répressions, des élections se sont tenues et de nouveau, les Juifs sont restés majoritaires au conseil municipal. Le nombre de Juifs dans la ville avait diminué. Suite au grand incendie de 1920, beaucoup étaient partis. De 12 000 Juifs, leur nombre était passé à 8000 Juifs contre 3000 chrétiens.

Au nouveau conseil municipal, élu en 1935, les représentants juifs étaient : Mordechai Rimvrot, Aharon Rapoport , Reuven Michalson, Yudel Pienknawiesh, Leizer Bornstein, Haïm Reizman, Avraham Goldberg et Sadowski en qualité de conseillers municipaux. Ce fut le dernier conseil municipal à majorité juive. Jusqu'en 1935, j'ai poursuivi mon travail de conseiller et j'ai lutté tout le temps contre les décrets et persécutions qui tombaient sur la population juive, et je me suis opposé par différents moyens à tous les ennemis, pour le bien de la communauté.

La guerre qu'Hitler a mené à mis fin à tout. Je suis parti en Russie, l'ai traversée quasiment jusqu'en Sibérie et par miracle, j'ai pu revenir en Pologne et de là partir en Israël. Le destin m'a poussé à voir, à un âge avancé, comment la ville, pour laquelle j'avais investi toute ma vie avait été d'un coup réduite à néant. Malgré tous les décrets, on s'en tirait toujours et cette fois, nous avions été impuissants. Le Kałuszyn juif n'existe plus. Pendant longtemps, nous avions lutté contre les non-Juifs, et cette fois, ils avaient gagné.


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Après la libération de la Pologne

par Moshé Prack

Traduit par S. Staroswiecki

Le jour de la capitulation des allemands approchait. Les têtes hautaines des fiers gendarmes allemands s'étaient inclinées et on pouvait lire l'abattement sur leurs visages Dans leurs postes de garde et leurs logis, on pouvait remarquer une précipitation nerveuse. Les Allemands avaient déjà emballé leurs effets pour partir.

Après des années de souffrance, de famine et d'épidémies, la communauté juive de la ville a senti que quelque chose changeait. Mais personne ne savait précisément ce qui allait se passer. Les Polonais de la ville avaient relevé la tête et les légionnaires polonais étaient déjà prêts et attendaient leur heure pour renverser la domination étrangère. Différentes versions circulaient. On parlait d'un gouvernement populaire avec Pilsudski à sa tête. On parlait même d'un gouvernement communiste Des groupes de Juifs se tenaient dans la rue de Varsovie et parlaient de la nouvelle situation. On prêtait attention à toutes les rumeurs et chacun donnait son avis à savoir si c'était mieux ou pire….

Et on ne sait pourquoi, la situation devint plus claire. Les Allemands s'enfuyaient de la ville et les Polonais leur tombaient dessus, leur prenant leurs uniformes et leurs armes. Les changements étaient perceptibles, les fusils allemands se portaient fièrement sur les épaules des non-Juifs. Les partis ouvriers juifs montraient aussi de l'activité. Des manifestations dans les rues et des rassemblements de masse dans les clubs et les maisons d'études. Des flambeaux et des drapeaux et des mots d'ordre tonitruants. Que vive la Pologne !

Que vive la légion polonaise ! Que vive Pilsudski! Lors d'une réunion, le frère de Stach, le maire de la ville pris la parole et parla des années d'esclavage et du miracle de la libération de l'indépendance polonaise. De nombreux Juifs opinèrent du bonnet, mais la majorité ne rejoint pas les espérances de l'indépendance polonaise. Je me rappelle qu'à cette réunion le vieil Alter Ketsche a parlé à un Juif qui se réjouissait de la joie des polonais.” Pour eux, les Polaks, c'est une joie, ils reçoivent à nouveau leur pays, mais nous les Juifs, pourquoi nous réjouissons-nous ? Pour nous L'allemand était une calamité et les Polonais une catastrophe …

Ces jours de fête, de rassemblements et de manifestations étaient finies. La vie quotidienne reprenait son cours normalement. Le non-Juif Vonsovski, l'agent municipal a reconduit avec zèle les décrets et ordonnances. Et les Juifs de Kałuszyn ont repris leurs occupations du temps des allemands, ces petites fabriques illégales ou on produisait des boissons alcoolisées à partir de pain. Et à nouveau, les femmes se déplacèrent dans les villages pour vendre du pain et des pommes de terre aux commerçants. Des ateliers s'ouvrirent et la communauté juive de Kałuszyn se réjouit de la promesse du président de la ville non-Juif, d'allouer une plus grande somme afin d'achever la construction de la nouvelle synagogue qui traînait depuis des années. Et les Juifs avaient foi en des temps nouveaux.

 

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Kaluszyner dans l’armee Polonaise 1919-1920

 

Et pourtant de nouveaux jours difficiles se profilaient- la guerre entre la Pologne et la Russie. Dans les maisons d'études et dans la rue, on bouillait. La guerre aurait lieu, la guerre n'aurait pas lieu. On enquêtait et on interprétait “la lettre politique d'Itchele”. On voulait découvrir ce qu'il en était de cette guerre et la guerre éclata.

Jour et nuit la rue ne connut pas de repos. Les armées allaient et couraient, les Bolcheviques faisaient la chasse aux polonais dans la ville et on entendait dans la rue les fusillades sur la route de Siedlce.

Un soir l'armée polonaise délaissa la ville. Le “pont de Varsovie” brûla et un silence effrayant pesa sur toute la ville. Dans la matinée, les deux premiers soldats bolcheviques, aux pieds nus firent leur apparition dans la ville, dans la rue de Varsovie, vers le magasin de Zysman et ensuite l'armée bolchevique commenca à avancer, l'infanterie et les cavaliers, les véhicules et l'artillerie. Les rues étaient pleines. Les Juifs saluaient les soldats russes et étaient en extase devant ces hommes allant nu-pieds, en guenilles et aux visages blafards... Quel parti allaient-ils prendre dans cette guerre ? Les soldats russes promettaient qu'ils prendraient Varsovie dans 2 jours…
Pendant ce temps, on commenca à faire le ménage dans la ville à la mode communiste. Les communistes juifs de Kałuszyn de même que les membres des autres partis socialistes mirent sur pied une milice rouge.

Avec des fusils sur l'épaule et des rubans rouges sur les bras les nouveaux maîtres commencèrent à régner sur la ville. Les arrestations commencèrent. On se mis à saisir les notables juifs et non-juifs, à nationaliser les biens, en particulier les quincailleries. Les militaires allaient et payaient avec de grandes liasses de papier - à ceux qui n'avaient jamais vu de ducat, et la ville entière faisait du commerce et tentait sa chance. Les militaires achetaient à n'importe quel prix et dépensaient sans compter leur monnaie en papier que n'importe qui pouvait imprimer sur une machine à imprimer. Et les Juifs croyaient qu'ils allaient devenir riches.

Les artisans travaillaient également jour et nuit. Tout allait aux militaires qui payaient avec largesse et avec grande politesse… Ils avaient tous appris rapidement quelques mots de russe et en particulier le mot “Tovaritch” qui convenait aux affaires. De grands rassemblements se tenaient au milieu du marché. Du balcon de Moshé Tchernitski, les orateurs laissaient entendre que l'heure de l'égalité et de la fraternité avait sonné. Je me rappelle le discours de Pliwatchevski qui avait fait forte impression. Il détenait depuis longtemps sa carte d'appartenance au parti communiste. Il appelait tous les opprimés qui avaient vécu jusqu'à présent dans les caves, à occuper les hautes positions des riches. Son discours eut de l'effet sur les pauvres et parler à un communiste devint un honneur. Tous commençaient à se vanter d'appartenir au parti communiste : “Moi” …… Je suis au parti depuis de longues années. ….

Beaucoup espéraient décrocher une nouveau statut social, - être à la tête des commerces cossus, et même de l'administration de la ville. Le village était en effervescence, bouillonnait de sentiments de fête. Les rues grouillaient de gens et chaque véhicule militaire était salué d'un large geste de bienvenue.

Un des véhicules, qui traversait la ville, avait été fortement salué par la populace juive. Il s'est avéré plus tard qu'il s'agissait du véhicule transportant les délégations polonaises du cessez le feu. Ils avaient reçu un accueil chaleureux, mais plus tard, le mouvement antisémite “dva groshe” écrivit que les Juifs avaient salué avec enthousiasme la délégation du cessez le feu parce qu'ils pensaient qu'ils s'agissaient de bolcheviques et ce portrait antisémite qu'ils dressèrent coûta très cher aux Juifs de Kałuszyn.

Après huit jours d'occupation, les Soviétiques commencèrent à se retirer à un rythme effréné. De minute en minute, le désarroi, la panique grandissait et l'état d'esprit des Juifs de Kałuszyn changea du tout au tout. Véhicule après véhicule ; l'un sur l'autre les gens quittaient leurs foyers en masse et suivaient l'armée qui se retirait. La panique était grande , les routes étroites et tous couraient. Tous les Juifs comprenaient la signification du retour de l'armée polonaise. Moi aussi –j'étais jeune homme à l'époque personne à la maison ne me l'avait annoncé mais je courais.

Ou courrait-on ? Là où tous courraient, en Russie, sur la route de Siedlce. La nuit était tombée pleine d 'agitation et de cris. Une ruée de charriots – plus vite, plus vite. Chevaux après chevaux et charrettes après charrettes. Et bientôt on vit apparaitre les avions polonais. Avec leurs mitrailleuses, Ils mitraillaient la route.

Ils demandèrent aux militaires de nous arracher des charrettes, mais aucun n'accepta et nous avons voyagé toute la nuit jusqu'à arriver très tôt le matin à Sokolow. Nous avons trouvé toute la bourgade en larmes et préoccupée. On disait qu'à Varsovie les Polonais avaient percé le front. Et les Juifs de Sokolow avaient aussi fait leurs bagages et se tenaient prêts à s'enfuir. Nos Juifs de Kałuszyn venaient de se poser pour se reposer. Après avoir voyagé toute la nuit, ils se relevèrent et décidèrent de poursuivre leur route. J'essayai de me lever ; mais mes pieds ne m'obéissaient pas. Je ne pouvais plus continuer. Je suis resté, seul, assis sur un petit pont. Les autres Kałuszyner m'encourageaient, me disaient que je devais un peu me reposer et ensuite me réfugier à Bug en direction de la Russie. Pour le moment, j 'étais tout seul, je voulais manger et je n'avais rien dans la poche. En fait, j'avais de l'argent, les billets russes, mais on ne pouvait rien acheter avec cela. Seul, épuisé et affamé, j'ai pu, malgré le chaos des militaires qui se retiraient et des Juifs qui fuyaient, arriver jusque chez un Juif de Kałuszyn habitant à Sokolow.

Là-bas, je me suis trouvé dans une maison pleine de monde et parmi eux, beaucoup de personnes de Kałuszyn. Le maître de maison s'était enfui et seule sa femme et ses enfants étaient restés. J'y passai la nuit et tôt le matin, on m'avertit que les bolcheviques étaient partis de Sokolow et que l'armée polonaise était sur le point d'arriver.

La maîtresse de maison est rentrée apeurée et nous a demandés de partir au plus vite parce
qu 'elle avait peur de nous garder et ne voulait pas de problèmes. Nous avons dû partir.

Avec mes pieds estropiés, je me suis traîné à grand peine vers la synagogue. Là, j'ai rencontré beaucoup de Juifs, dont mon compatriote Yossel Yagod-Jinski, bénie soit sa mémoire et Yonah Elson ( à présent en Argentine). Je suis resté la journée entière à la synagogue et nous mourions tous de faim. A chaque instant, un de nous s'évanouissait et à la tombée de la nuit, on entendait des fusillades. Au matin, nous nous sommes prudemment approchés de la fenêtre et avons vu l'armée polonaise se déchaîner et défoncer les commerces. Dans les rues, on entendait des cris. Nous avions peur de sortir de la synagogue. Mais la faim nous tenaillait. Et l'un d'entre nous, plus hardi, est sorti dans la rue et nous a rapporté la nouvelle que des affiches étaient accrochées dans toute la ville qui demandait à tous les fuyards, réfugiés des autres villes de se déclarer à la Kommandantur , sous peine de mort.

Nous n'avions pas d'autre choix que de nous déclarer à la Kommandantur. On enquêtait sur chacun pour connaître son identité et savoir d'où il venait. Nous ne voulions pas avouer que nous avions pris la fuite avec les bolcheviques. Comme nous nous étions mis d'accord entre nous auparavant, chacun de nous a déclaré qu'il avait été forcé de travailler, et de mener paître les vaches. Après l'enregistrement, on nous a annoncé qu 'à 4 heures de l'après midi, on nous renverrait en train dans nos foyers.

Il y avait parmi nous des personnes hardies qui nous avaient demandées à les autoriser à se procurer de quoi manger, et on nous a demandé d'aller chercher à manger auprès du rabbin.

Le rabbin de Sokolow ne se trouvait pas chez lui à ce moment et il n'y avait que le personnel de maison dans la cour du rabbin et leur avons demandé à manger. Il n'y avait pas non plus de pain et on a fait cuire des pommes de terre pour calmer notre faim avec quelque chose. Quatre heures approchaient et nous étions tous dans l'attente avec angoisse.

Etait-il vrai qu'on allait nous renvoyer dans nos foyers ? A quatre heures pile, on nous a fait mettre en rangs, quatre par rangée et avons commencé à marcher vers la gare.

Face à nous passaient des soldats et lorsqu'ils s'approchaient de nous, ils nous lançaient des pierres et brandissaient leurs poings.

Conformément aux ordres, nous restions de pierre et les soldats se jetaient sur nous avec leurs crosses et leurs sabres et poussaient des “hourra”. J'ai pu m'enfuir avec quelques autres dans le cimetière chrétien et me faufiler entre les tombes. Il faisait déjà sombre, nous avons entendu un chrétien se rapprocher de notre cachette et nous avons remarqué que les soldats grimpaient par-dessus la palissade du cimetière. Nos cœurs battaient la chamade !! Par chance, ils ne nous ont pas remarqués et nous sommes restés couchés sur les tombes jusque tard dans la nuit, jusqu'à ce que tout soit calme autour de nous et avec crainte, nous sommes sortis du cimetière et nous sommes mis en marche. Sur la route, nous avons croisé une non-Juive, elle nous a prévenus que les rues étaient pleines de militaires et nous a conseillé de couper à travers bois. Elle nous a informé que sur la route de la gare, de nombreux Juifs avaient été assassinés et nous a proposé de nous rendre chez un meunier juif qui habitait non loin de là.

Nous étions vendredi soir. En nous souhaitant un bon Shabbat, nous nous sommes approchés dans l'obscurité tardive de la maison du meunier. Il ne nous a pas accueilli avec empressement parce que, ainsi qu'il nous l'a dit, d'autres venaient à tout moment et qu'il était occupé, il devait cuire du pain pour les militaires et qu'il travaillait également le Shabbat. Il nous a conseillé de passer à travers bois vers Mizne qui se trouvait à proximité de Wengrov.

Il nous a donné à chacun de nous un demi-pain, et les pieds meurtris et en compote, nous nous sommes remis en marche vers Mizne au milieu de la nuit.

Je n'oublierai jamais ce que j'ai vu dans la forêt de Mizne. Des soldats réduits en bouillie, des cadavres de chevaux et des fusils et canons en mille morceaux. Nous sommes arrivés à Mizne tard dans la nuit et nous n'avons pas vu âme qui vive. Finalement, nous nous sommes dirigés vers une cabane où brûlait une lampe. Nous avons demandé ou vivait un Juif et avons enfin pris le chemin d'une maison juive.

Nous avons frappé à la porte, mais personne n'a répondu. Et ce n'est que lorsque nous avons fait savoir que nous étions juifs, qu'une femme nous a ouvert la porte. Parce que c'était Shabbat, elle n'avait allumé aucune lampe et nous a raconté dans l'obscurité les actes sauvages, barbares des “Halertshikes“. Elle nous a donné du pain et du lait à chacun d'entre nous et nous avons dormi dans l'étable. A sa demande, nous avons quitté très tôt notre gîte et sommes partis vers Wengrov. A proximité de Wengrov nous avons rencontré des Juifs, qui nous ont prévenus qu'à Wengrov on réquisitionnait les gens pour travailler et que ceux qui n'étaient pas de Wengrov étaient arrêtés. Je suis cependant rentré à Wengrov et ai demandé des nouvelles de mes proches. Je me suis séparé du groupe et ensuite par différents détours, je suis parvenu à Kałuszyn. Sur les routes menant à Kałuszyn, il y avait des gardes militaires qui attendaient les réfugiés qui essayaient de rentrer dans leurs villes. Ils torturaient avec sauvagerie tous ceux qu'ils rencontraient, et les envoyaient en prison. J'ai évité les routes et, par des chemins détournés, je suis arrivé dans ma ville jusqu'à mon domicile. Les pleurs et la joie de mes parents étaient indescriptibles. Toutes les minutes un autre voisin venait me demander si je n'avais pas vu un tel ou untel sur les routes. A chaque fois, en ouvrant la porte, j'étais saisi de peur et je tremblais que l'on ne vienne m'arrêter et les voisins ne cessaient de me poser des questions et m'interroger. Il régnait en ville un sentiment de jugement dernier. A chaque instant on apprenait de nouveaux évènements ; qu'on avait arrêté Yeshaiah Grodshiskin, Yacov Hertz Gontarski, et d'autres encore – qu'ils se trouvaient tous dans la prison de Siedlce et qu'ils risquaient la peine de mort. Hommes et femmes accouraient à la maison d'études et pleuraient tout en étant impuissants. Quelques jours plus tard, la nouvelle de la boucherie de Boïme parvint aux oreilles des habitants. On avait assassiné plus de deux dizaines de Juifs au moyen de haches et de pelles. J'ai encore en mémoire le nom de quelques tués : Avraham Shmerl, ma tante Roizes Man, Israël Ashel, ( un de ses fils vit en Israël) , Simha Bromberg, un cordonnier, Alter, Hirshl, un des fils de ma chère Bracha la blanchisseuse, Hana, le fils d'un fabricant de Taliths, Yeshaia, le fils de Shlomo Hassid, Simha, Palma. 3 Juifs ont été fusillés après avoir été jugé par un tribunal militaire. Et c'est le prix que Kałuszyn a payé au mouvement antisémite “dva groshe “, payé de son sang et de ses souffrances.

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