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Moyshe Bornshtejn (Jérusalem)
J'ai suivi ma formation militaire dans l'armée polonaise, dans laquelle j'ai servi comme soldat dans un régiment de carabiniers à cheval (cavalerie). C'était à Garwolin. J'ai servi de 1934 à 1936. J'ai fait mon service avec plusieurs autres jeunes garçons juifs de Minsk et des alentours. Je me souviens encore aujourd'hui de certains d'entre eux : Butshe Koyfman de la rue Mostova ; Leyzer Abramovski de la rue Kolie ; Reuven Meyzler du marché et Avrom Feldman qui vit aujourd'hui à Tel-Aviv. Je me souviens aussi de Meir Berger de Stanisławów, Sheye Gontarski de Kałuszyn et Borukh Nisnboym de Falenits (Falenica).
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À partir de la droite : Reuven Meyzler, Leyzer Abramovski, Butshe Koyfman et Moyshe Bornshtejn.
J'étais un bon soldat et j'ai rapidement acquis de l'autorité. Le fait que mes officiers connaissaient bien mon passé dans le mouvement communiste m'obligeait à une prudence redoublée. Je suis resté en contact avec le K.P.P (Parti communiste polonais) grâce à Eli Mozes. Dans l'armée, nous ressentions fortement l'attitude particulière des officiers polonais envers les Juifs ils se souciaient bien plus de leur cheval que du soldat juif.
Quand le pogrom a éclaté je me trouvais justement en permission à Minsk. Cela a été pour moi une expérience bouleversante. Peu après avoir terminé mon service militaire, j'ai décidé de partir combattre, les armes à la main, en Espagne dans les Brigades internationales.
Je suis parti pour Paris et, après avoir passé un peu de temps avec des amis et compatriotes, j'ai, à l'automne 1937, franchi en secret la frontière des Pyrénées et suis arrivé à la forteresse de Figueras. Le commandant militaire y était un jeune juif de Varsovie, l'activiste communiste Sevek kirshnboym, qui venait fréquemment à Minsk. Là, j'ai rapidement pris la direction d'un groupe de volontaires et suis parti avec pour Albacete[1]. De là, je suis arrivé à Casas-Ibáñez. J'ai été affecté à la direction de l'unité juive alors en cours d'organisation : l'unité A.N. de Naftali Botwin[2].
Dans la compagnie Botwin, j'ai retrouvé plusieurs camarades et connaissances. Il y avait notamment Avrom Mints, un Poaley-Tsioniste originaire de Minsk, qui était venu en Espagne depuis Paris, où il vivait déjà depuis longtemps. De manière générale, un certain nombre de Minskers ont combattu en Espagne, dans différentes unités et à différentes périodes. J'y ai retrouvé Eli Mozes (commissaire politique de la batterie d'artillerie A.N. de Glovatski), Godl Abramovski, Ioskovitsh (le fils de Zalmen Natan) ainsi que plusieurs non-Juifs originaires de Minsk.
À Minsk, il y avait encore beaucoup de jeunes qui s'étaient portés volontaires pour aller combattre en Espagne. Un seul groupe est finalement parti, parmi eux Mordka Mozes, le frère cadet d'Eli Mozes, et mon propre frère cadet, Rubin. Ils ont réussi, non sans difficultés, à atteindre la Tchécoslovaquie, mais faute de formation militaire, ils ont été renvoyés. Peu après, la police les a arrêtés, et mon frère Rubin a été emprisonné à Kartuz-Bereza pour ce « crime ».
Après des exercices et un entraînement militaire, je suis parti avec ma compagnie de réserve Botwin sur le front d'Estrémadure. Je dirigeais un groupe de combattants juifs. Le 16 février 1938, nous avons participé à une attaque dans les montagnes de la Sierra Kamadra[3]. La compagnie Botwin comptait 120 combattants des Juifs, quelques Polonais, et même deux communistes arabes venus d'Erets-Yisroel. Nous ne possédions que 80 fusils. Nous avons été les premiers Juifs à combattre, armes à la main, le fascisme en Europe, et nous avons fait preuve d'une bravoure extraordinaire. Plus d'un tiers d'entre nous est tombé au combat.
Parmi ces jours-là, un épisode est resté profondément gravé dans ma mémoire : celui où j'ai sauvé notre compatriote Avrom Mints. Tard dans la soirée, nous avons reçu l'ordre de nous replier dans nos tranchées. J'ai couvert la retraite de mes soldats par le feu. Soudain j'ai entendu un gémissement, un appel à l'aide. Sans hésiter, j'ai dévalé la colline et, dans l'obscurité, je suis tombé sur un corps grièvement blessé. En m'approchant, j'ai reconnu : c'était mon compatriote Avrom Mints !
Je l'ai aussitôt hissé sur mon dos pour le ramener vers notre position, car les fascistes étaient déjà proches. Avec un autre combattant de la compagnie Botwin nous l'avons allongé sur un manteau et évacué jusqu'à un hôpital de campagne. Il s'est avéré qu'après avoir été gravement blessé à la jambe, incapable de battre en retraite, et dans la peur de tomber vivant entre les mains de l'ennemi, il s'était tranché les veines, désespéré.
Avrom a ensuite été transféré dans un hôpital à Paris, où Léon Blum en personne est venu lui rendre visite, en tant que combattant socialiste. Il a fini par se remettre de ses blessures et vit encore aujourd'hui à Paris.
Après avoir participé à une nouvelle série de combats, j'ai été grièvement blessé, le 2 avril 1938, à la jambe et à la tête. C'était à Lérida. Ainsi s'est achevé ma participation à la guerre d'Espagne, au cours de laquelle j'avais atteint le grade de porucznik (lieutenant) dans l'armée républicaine espagnole.
J'ai traversé des jours amers et douloureux. Ma seule consolation, à l'époque, fut une lettre de ma mère. Je lui avais dit adieu en lui faisant croire que je partais pour Paris, et non pour l'Espagne. Ce n'est que depuis le front que je lui ai révélé la vérité.
Il vaut la peine de reproduire ici cette lettre que j'ai reçue de Minsk je l'ai conservée jusqu'à aujourd'hui. Elle a également été publiée comme document dans le livre Mémoires d'un Botwiniste d'E. Wuzek[4] (Varsovie, 1964, éd. Yiddish Buch) :
Mon cher fils,
Tu as bien fait de m'écrire la vérité. De toute façon, le cœur tourmenté d'une mère avait déjà senti que tu n'étais pas à Paris. Mieux vaut une vérité amère que de fausses consolations et l'incertitude.
Mon cher Moniouch, tu sais bien combien il m'a été difficile de me préparer à ton départ. J'avais tant d'espoirs liés à ton séjour à l'étranger, d'autant plus que ma santé se détériore de jour en jour, et qu'il devient chaque fois plus difficile pour moi de joindre les deux bouts.
Malgré tout cela, je te pardonne, mon cher enfant. Je ne t'en veux pas, je ne t'adresse aucun reproche. Si tu es parti en Espagne, je comprends que tu ne pouvais pas faire autrement. Tu as certainement agi selon ta conscience. Je sais que tu nous aimes tous profondément, et ce que tu vis ne doit sûrement pas être facile pour ton âme.
Je t'envoie ma bénédiction et je prie sans cesse le Maître du monde de veiller sur toi et de te protéger. Je prie aussi pour tes camarades Polonais, Juifs, Russes, Français, Espagnols unis par un même but. Eux aussi ont des mères et des familles qui les attendent, le cœur plein d'angoisse.
Tes amis viennent me voir et me disent qu'ils t'envient. Je crois qu'ils le disent sincèrement. Mais le cœur d'une mère, ça, ils ne peuvent pas le comprendre. Ils me demandent si j'ai besoin de quelque chose, ils essaient de m'aider. Je m'interroge souvent : d'où les gens tirent-ils l'idée que je suis heureuse ? Est-ce à cause de toi sur le front en Espagne ? Ou à cause de ton jeune frère Romek (ce que tu ignores encore, bien sûr), qui est depuis quelques semaines emprisonné à Kartuz-Bereza ?
Je regarde tes amis, et j'y vois toi et Romek. Je pleure sans cesse, et pourtant, cela m'apaise un peu, car je vois qu'ils ne vous oublient pas. Je vois des larmes dans les yeux de ces communistes… Je comprends que vous tous êtes unis par un même idéal, une seule idée. Que Dieu vous vienne en aide peut-être que le monde en sera meilleur.
Mon cher fils, je ne peux pas écrire davantage. Je t'envoie des baisers chaleureux, et les salutations affectueuses de tes camarades. Écris souvent. Chaque jour sans nouvelles de toi est pour moi un supplice.
À bientôt ta mère qui t'aime.
Fin 1938, j'ai été envoyé à Paris pour suivre un traitement complémentaire. Une fois rétabli, je suis devenu actif au sein du Comité d'aide à l'Espagne. C'est là que j'ai retrouvé mon amie Sure Morgenstern, arrivée elle aussi à Paris depuis Minsk.
Le 1er septembre 1939, au moment où éclatait la guerre, nous étions des centaines de Juifs polonais à assiéger l'ambassade de Pologne, décidés à nous mobiliser contre l'Allemagne hitlérienne. Un fonctionnaire de l'ambassade nous a alors répondu avec un sourire cynique : « Les moustiques veulent se battre nous nous en passerons bien. »
Je me suis alors engagé comme volontaire dans l'armée française. En tant qu'étranger, j'ai été transféré dans l'armée polonaise auto-organisée du général Sikorski, alors en France, dont le centre était situé à Coëtquidan. J'ai été affecté au 1er régiment antiaérien. De là, nous avons été envoyés dans une zone proche de Saint-Nazaire, où étaient regroupées les unités militaires polonaises, ainsi que d'autres contingents, avant leur évacuation vers l'Angleterre.
J'y ai retrouvé plusieurs compagnons originaires de Minsk, dont Yankel Platkevitsh (Zilberberg), qui vit aujourd'hui à Paris, ainsi que Katriel Aronzon (fait prisonnier plus tard ; il se trouve actuellement en France).
Les Allemands n'étaient plus qu'à quarante kilomètres de notre camp. Un matin de juillet, en me réveillant, j'ai découvert que toute notre unité avait disparu[5]. Il ne restait plus que nous sept, les Juifs. Nous avions été discrètement abandonnés par nos officiers antisémites…
N'ayant pas d'autre choix, je me suis engagé dans une unité française. J'ai pris part à un combat acharné[6] et j'ai été blessé à la main. J'ai été évacué vers Toulouse[7]. Après ma sortie de l'hôpital, je suis resté chez notre compatriote Moyshe Tshebutski, un oncle de Sure Morgenshtern. Là, j'ai aussi retrouvé d'autres réfugiés de Minsk ayant fui Paris, comme Itshé Brones et sa famille, avec Leyb Roznboym, Khayim Mendelson, et d'autres encore.
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Sur ordre du parti, je suis parti avec Sure pour Paris, déjà occupé par les Allemands. J'ai intégré la Résistance clandestine en tant que secrétaire de l'organisation communiste juive du 12e arrondissement, et j'ai commencé à y organiser des groupes de résistance[8].
Un jour, on m'a informé que je figurais sur la liste des personnes que les Soviétiques échangeaient[9] contre des citoyens allemands. J'ai reçu un passeport avec la citoyenneté soviétique. Tout cela s'inscrivait dans le cadre des échanges de population entre l'Union soviétique et l'Allemagne hitlérienne. À cause de complications bureaucratiques, ma chère Sure[10] n'a pu obtenir l'autorisation de me rejoindre en Union soviétique que plus tard trop tard. La dernière fois que j'ai vu ma camarade bien-aimée, c'était le 14 mars 1941 à la gare de Paris, d'où notre groupe a quitté la ville. Elle était venue me dire adieu avec sa famille. (Elle a été déportée plus tard à Auschwitz, où elle a été assassinée).
Le voyage en train de Paris à Moscou fut riche en épisodes piquants. Notre groupe comptait cinq hommes et deux femmes. Deux jours plus tard, nous sommes arrivés à Berlin nous ne voyagions que de nuit, fenêtres soigneusement occultées. Le 16 mars, nous avons été reçus comme invités par l'ambassadeur soviétique à Berlin, Dekanazov[11], qui nous a offert un déjeuner. Pendant le repas, nous avons partagé notre conviction qu'une guerre entre l'Union soviétique et l'Allemagne n'était plus qu'une affaire de trois mois. « Qu'ils viennent, nous les accueillerons avec hospitalité », a-t-il répliqué avec ironie. Ce jour-là, nous nous sommes également promenés un peu dans Berlin, et nous nous sommes retrouvés sur la place Hindenburg au moment même où se tenait un meeting auquel participait Hitler en personne. C'était à l'occasion de la visite officielle du ministre japonais des Affaires étrangères. Partout, nous avons vu des inscriptions antijuives. Nos pensées étaient tournées vers nos familles, désormais livrées à la barbarie du régime nazi. Que va-t-il leur arriver ?
Le 18 mars 1941, nous avons atteint la frontière soviétique, d'où nous avons été aussitôt conduits à Moscou. Nous avons obtenu le droit d'asile en tant qu'émigrés politiques, placés sous la protection du Komintern[12]. À Moscou, l'accueil a été excellent : nous avons bénéficié de divers privilèges. En convalescence à Sieniez (Senezh), une station thermale près de Moscou, des combattants de Minsk revenus d'Espagne se sont retrouvés pour la première fois. C'est là que j'ai revu Eli Mozes ; nous avons passé plusieurs jours à discuter de la situation de nos familles restées à Minsk, de ce qu'elles traversaient, et de ce que nous pourrions faire pour les aider.
Après l'invasion de l'Union soviétique par Hitler, nous nous sommes revus à nouveau. Nous nous sommes portés volontaires pour l'Armée rouge. Il a été décidé de former, à partir de tous les Minskers, un groupe spécial de parachutistes destiné à être largué dans la région de Minsk pour y encadrer le mouvement de résistance. Mais la commission médicale ne m'a pas autorisé à rejoindre cette unité, en raison de mes blessures. Je me suis séparé d'eux pour toujours, et j'ai reçu une autre affectation dans le service militaire régulier.
Sur instruction du Komintern, je me suis adressé au commandement de l'armée polonaise en cours de formation à Moscou, afin d'y être intégré. Par hasard, je me suis retrouvé face à face avec le général Anders[13]. Il ne s'agit pas ici de faire du commerce, nous avons seulement besoin de combattants, m'a-t-il lancé avec une ironie amère. Je lui ai alors présenté mes papiers attestant de mon statut d'ancien soldat polonais, ainsi que de ma participation aux combats menés par l'armée polonaise en France, où j'avais été blessé. Il a chaussé son monocle, examiné longuement mes documents, puis a fini par répondre :
Bon, vous me forcez à vous engager. Je n'avais pas soufflé un mot sur l'Espagne, mais le soir, allongé sur mon lit dans le dortoir des sous-officiers mobilisés, j'ai entendu l'un d'eux raconter à un camarade qu'il y avait eu dans la journée un petit incident entre le général et un Botwiniste d'Espagne… Parmi les soldats, un antisémitisme virulent régnait, et ils parlaient ouvertement entre eux de leur intention, une fois de retour en Pologne, d'exterminer tous les Juifs… Il n'a pas fallu longtemps pour que je sois temporairement libéré. Le prétexte fut que les effectifs dépassaient le quota autorisé. Ainsi prit fin mon passage dans l'armée d'Anders. Je suis retourné à Moscou, où l'on m'a à nouveau confié diverses missions militaires et civiles.
Peu après, je suis arrivé en Asie centrale, à Kokand[14], où se trouvait un collectif d'émigrés politiques venus de divers pays pour la plupart d'anciens volontaires des Brigades internationales en Espagne. Nous avons tous reçu différentes missions de la part du Komintern, en plus de nos occupations quotidiennes.
C'est à Kokand que j'ai fait la connaissance de celle qui allait devenir ma femme, que j'ai épousée en 1945. En juin 1946, avec mon épouse et notre fils aîné, nous sommes rentrés en Pologne. Je me suis d'abord installé à Świdnica (Shvidnits), puis à Wrocław (Vrostlav), ensuite brièvement à Otwock, et finalement à Varsovie. En 1963, j'ai quitté la Pologne pour m'installer en Israël.
Notes de bas de page du traducteur
Durant cette période (jusqu'au 22 juin 1941), le PCF ne mène pas une résistance armée contre les Allemands, mais organise des réseaux de secours pour les réfugiés, de la propagande clandestine (tracts, journaux comme L'Humanité clandestine), un maillage de militants souterrains, souvent très disciplinés. Le 12e arrondissement de Paris abritait une communauté juive active, et des cellules de la MOI (Main-d'œuvre immigrée) y ont pris racine dès 1940, même si les grandes structures communistes se réorganisent surtout à partir de juin 1941. Revenir
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Updated 10 Jul 2025 by JH