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[Page 232]

Modes de vie et figures

 

[Page 239]

Personnages de notre ville

par Israël Reikhenbakh

Traduit par S. Staroswiecki

Les marchands de sable
- « Du sable ! du sable ! du sable ! » Et encore une fois : -« Du sable ! du Sable ! » C'est ce que Moshé Piaskash, le marchand de sable criait tous les vendredis, et nos maîtresses de maison se pressaient pour en acheter des quantités, pour faire briller les parquets en l'honneur de Shabbat.
Dans une litanie sans fin de cris :-« Du Sable, du Sable ! » On entendait ce qu'on voulait -« Du sable, du sab et même du sam [1] mais le plus difficile était d'entendre le mot sable.

Moshé Piaskash n'était pas l'unique marchand de sable. Il y en avait un autre, le vieux Velvl Lompe.

Moshé Piaskash était un juif lève-tôt.

Dès l'aube, il traversait le shtetl de long en large avec sa marchandise sans cesser de crier « Sable », tandis que Velvl Lompe ne commençait à travailler qu'à des heures tardives, parce que sa rosse ne supportait pas la comparaison avec le cheval de Moshé Piaskash.

C'était un pauvre juif miséreux, le vieux Velvl, et il avait à peine de quoi acheter une malheureuse jument chez un gredin - afin de la sauver de l'ange de la mort pour quelques roubles. On comprend aisément qu'avec de telles carcasses, on ne pouvait arriver aux sables qu'à des heures tardives.

Beaucoup de ménagères laissaient passer Moshé Piaskash, tout affairé et pressé, et attendaient la jument de Velvl Lompe qui elle, se trainait. Le fait est que chez lui, on pouvait acheter un tas de sable pour un groshn moins cher.

Il faisait payer moins cher parce qu'il arrivait en retard, et aussi parce que sa marchandise, son sable, était un peu plus foncé. Il allait le chercher dans un endroit plus élevé et non pas dans les profondeurs de la vallée sableuse, parce que sa jument n'arrivait pas jusque là. Et s'il tentait le coup, pour sûr, sa jument y laisserait sa peau.

Il est arrivé une fois, que les deux marchands de sable se croisent, leurs charrettes sur la même chaussée et qu'entre eux passent aussi le porteur d'eau. Alors les cris fusaient de tous cotés. ; Moshé Piaskash de sa voix retentissante criait : « Du Sable ! Du Sable ! Du Sable ! » Et le vieux Velvl Lompe de sa petite voix enrouée : -« Sa-able, sab. ». Et à ce concert, venait s'ajouter les cris du porteur d'eau, Dovid'tshe Shimkes : « Eau, Eau de la rivière !

Passons sur Dovid'tshe. Mais que faisait ici Velvl Lompe avec son sable ? Moshé Piaskash en fit un scandale :

-« Toi, grossier personnage ! Tu me rentres en plein dedans ! »

-« Et qu'est-ce que tu crois, que je n'ai ni femme ni enfants ? », lui rétorquait Velvl Lompe et Moshé Piaskash répliquait abruptement au vieux Velvl.

Nos chères femmes voyant ce qui se passait, prenaient le parti de la paix et menaçaient ainsi :

-« Si vous ne faites pas la paix, nous vous prendrons pas de sable pour Shabbat ». Les femmes proposaient qu'ils s'associent -moitié moitié, mais Moshé Piaskash se révoltait : -Quoi ? - disait-il - il devrait être mon associé à parts égales. Mais ce n'est qu'un filou.

Et sur ce, il montrait sa pauvre jument du doigt :

-« Mon cheval coûte au bas mot huit roubles et en quoi est ce comparable ? »

Alors, on procéda à la répartition suivante : deux tas pour Moshé et un tas pour le vieux Velvl.

Et ainsi, on put poursuivre en paix la livraison du sable pour Shabbat.


NdT

  1. Zamd : yiddish: ( sable), zam, sam Return

 


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Les souffrances et le courage de Velvl Grushke

par Melekh Yelen -Ramat Gan

Traduit par S. Staroswiecki

Velvl Grushke, surnommé Velvl Tokarz [1] habitait sur la montagne de Leyzer Farber avec son fils David et ses filles Rachel, Hanna Sarah, Léa et Sheyndl. Sa femme Feyge avait toujours le visage plissé de soucis.

Velvl était un juif de stricte observance, ce à quoi s'ajoutait sa propension à réciter des bons mots et chanter des mélodies hassidiques. Ses fils David et ses deux filles Rachel et Hanna étaient de bons chanteurs. Pendant toutes ces années, Velvl est resté un homme pauvre et s'est toujours débattu pour réussir à gagner de quoi vivre, soit en exerçant le métier de tourneur soit en travaillant en tant que transporteur de marchandises. Plus les enfants grandissaient, plus il avait des soucis. Aux préoccupations de trouver de quoi vivre, s'ajoutait le souci des dots pour les filles, et Velvl voulait être pareil aux autres gens, bien habillé et bien chausser ses filles adultes. Mais il n'y avait pas d'argent et sa femme Feyge le harcelait et c'était l'enfer à la maison.

L'appartement ou vivait Velvl et sa grande famille se composait d'une pièce et d'une cuisine. Dans cette exigüité, les enfants de Velvl, le fils et les cinq filles étaient élevés simplement et modestement et pouvaient être un modèle pour les autres. La maison était toujours pleine de camarades de ses enfants et filles qui venaient ensemble s'amuser et chasser les soucis.

Le vendredi soir, Velvl chantait avec chaleur le “Sholem Aleychem” et récitait un kiddoush plein de saveur. Etait-ce du vin ou pas dans le même chant, Velvl faisait entendre son “ribono shel olam” la veille de shabbat et priait pour qu'il ait de quoi vivre.

Pendant de nombreuses années Velvl a porté ses soucis sans pouvoir les dépasser, jusqu' à ce qu'il perde la tête l'année qui précède l'éclatement de la seconde guerre mondiale. Il avait une maladie mentale, allait dans la rue et disait des bons mots à propos des notables qui mangent des lokshn, à leur faim…

Velvl est mort au moment où il est sorti du ghetto de Kałuszyn face à un groupe de nazis sur le trottoir. Il les a arrêtés et leur a dit :

- Ça ne vous servira à rien, vous perdrez la guerre.

Un des nazis l'a immédiatement abattu sur place.

Ainsi s'est achevée la vie de ce Velvl souffrant. Ses enfants sont morts aussi au ghetto de Kałuszyn, Minsk Mazowiecki et Varsovie. Seule sa plus jeune fille Sheyndl, a pu se sauver et se trouve en Allemagne


NdT

  1. Tokarz : du polonais : tourneur Return


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Alter, le colporteur

par Yossel Sukenik

Traduit par S. Staroswiecki

Mon oncle Alter, ou comme on l'appelait à Kałuszyn « Alter Shvartzbarts », après avoir exercé toutes sortes de métiers pénibles, n'eut d'autre choix que de devenir le colporteur du village.

Auparavant, Alter avait travaillé dans les forêts à écorcer les chênes. L'écorce était utilisée pour la production de peaux dans les tanneries. Cependant, ce genre de travail n'était pas suffisant pour survivre et les soucis ne manquaient pas à la maison. Alter suivit le conseil de son beau père, Eli David Sosnovski, qui commerçait depuis des années dans les villages de Skrzydeł (?)et Olekszyn. Là- bas, Eli Dovid rachetait des parcelles de forêts pour couper du bois pour la préparation des peaux pour son usine de bardeaux. Alter se mit à vendre des articles de mercerie dans ces villages.

Dès le début, Alter fit l'expérience de la haine. On lui lançait des pierres, on excitait les chiens, et d'autres actes d'antisémitisme. Mais il n'avait pas d'autre alternative que de faire la tournée des villages avec ses aiguilles, ses lacets, ses peignes et ses petits miroirs, ses perles et ses aiguilles à tricoter. Il ramenait de la ville des sucettes et des bagels aux enfants de ses clients pour leur faire plaisir. Sur la route du retour, il achetait toutes sortes de produits. Chargé de paquets, il revenait chaque jour à la maison. Généralement, les paysans achetaient à crédit et Alter devait montrer des trésors d'ingéniosité pour payer toutes ces marchandises en ville.

Tous les jeudis, Alter passait la nuit à Olekszyn, dans la maison du riche paysan Galec. Cette famille modeste et bien disposée avait toujours une chambre pour lui. Sur place, il pouvait faire ses prières du soir et manger un morceau avec la nourriture qu'il avait emportée avec lui de la maison. Les deux fils de Galec s'étaient toujours comporté avec respect vis-à-vis de ce juif, leur hôte.

De même, Galec se rendait parfois en ville et séjournait chez Alter. Une fois un vendredi soir, il fit rentrer une charrette chargée de bois qu'il n'avait pas réussi à vendre et qu'il n'avait pas envie de ramener dans son village. Alter réussit de justesse à ne pas profaner le shabbat à cause du paysan. Alter se dépêcha de décharger le bois, invita le paysan à boire un verre de schnaps, à manger du pain tressé et de la carpe farcie. Galec reparti heureux et Alter fut encore plus heureux d'avoir réussi à ne pas avoir commis de profanation et enfila ses vêtements de shabbat à toute vitesse…

Et c'est ainsi qu'un Shabbat suivait l'autre, que les semaines passaient et que la situation du dans les villages ne faisait qu'empirer. Une fois, un jeudi soir, le maire du village d'Oleskin informa Alter que les dirigeants du village avaient décidé d'ouvrir un commerce où les paysans pourraient se procurer de tout à des prix bon marché. Bientôt le magasin ouvrit ses portes. Le prêtre lui même releva ses manches et sa soutane, retira un hareng du tonneau pour les clients du village. La situation économique d'Alter déclina. Sur la maison communale, des affiches antisémites appelaient au boycott des juifs. Alter ne se rendit plus dans les villages que deux fois par semaine et le danger sur les routes ne faisait que croître.

Une fois, par une chaude journée, sur le chemin du retour, alors qu'Alter s'était assis pour se reposer prêt d'un cours d'eau à quelque deux kilomètres d'Oleskin, surgit soudain le forgeron du village qui lui devait 50 złotys. Celui-ci entama la conversation suivante –« Tu sais Alter, je pourrais te tuer sur place-Tu es riche et tous les juifs sont riches ». Alter sortit prestement sa bourse, lui montra les 12 złotys qu'elle contenait et lui dit :

- «  Tu plaisantes sûrement, n'es-tu pas, toi non plus père de famille ? ».Le forgeron réfléchit un instant et dit :

-« J'ai toujours su que tu étais un homme intelligent. Tu t'es rendu compte immédiatement que je plaisantai ! »

Parfois, des paysans et des paysannes venaient voir Alter. Il se pointait parfois le mardi, un jour de marché, pour commercer un peu. Les paysans aimaient raconter leurs malheurs devant Alter et sa femme. L'un se plaignait que son fils avait pris un mauvais chemin, qu'il volait et dépensait son argent pour les filles, à jouer et s'amuser, et il demandait à Alter de le raisonner s'il le voyait au marché. Une femme se lamentait que son mari était trop porté sur la boisson, une autre lui parlait d'une querelle à propos d'un champ laissé en héritage, et des querelles sanglantes que cela provoquait. Ainsi les paysans et leurs femmes conservaient une sorte de relation avec mon oncle et ma tante et pensaient du bien du colporteur qui prodiguait de bons conseils et quelques paroles de consolation.

Un jour de marché, une veille de Pessah, quand les carrioles de paysans arrivaient par tous les chemins, de la campagne à Kaluszyn, la famille Galec d'Oleszyn, les amis de mon oncle Alter vinrent lui rendre visite. Ils amenèrent avec eux pour la première fois leur fils de six ans Wacek. Comme le font tous les paysans, les Galec étaient partis prendre un verre ou deux et avait laissé Wacek dans la carriole afin qu'il garde un œil sur le véhicule, en lui promettant de lui ramener des sucreries.

Resté seul, le petit Wacek fut pris de panique quand l'agitation a commencé autours des charrettes, et que les serviteurs et les maîtresses de maison se sont mis à toucher et vérifier les marchandises contenues dans les paniers et les sacs de la charrette dont il avait la garde. Il se rappela que son cousin avait refusé une fois de le prendre avec lui au marché et l'avait effrayé en lui assurant qu'il n'en reviendrait pas vivant, parce que les juifs attrapaient les petits chrétiens dans des sacs, afin de prendre leur sang pour les pains azymes de la Pâque juive.

Et il y voyait vraiment des juifs avec des sacs, en voici un qui s'approchait pour voir ce que ce petit non-juif avait à proposer dans sa charrette...

Par une coïncidence heureuse, Wacek remarqua Alter, qui s'était rendu au marché, réclamer quelque dette impayée aux paysans de Skrzydeł (?) et d'Olekszyn.

Le gamin courut en direction d'Alter en hurlant ;

-« Sauve-moi, mon cher Alter, ramène moi à la maison. Les juifs veulent m'attraper pour faire leur pain azyme, ils arrivent avec leurs sacs !».
Mon oncle essaya de le rassurer, sans succès. Il dut le ramener à la maison carriole comprise. Même là bas, le garçon ne se calmait pas. Ni la nourriture, ni les bonbons ne réussissaient à l'apaiser. Le petit ne lâchait pas Alter d'une semelle. Ma tante dut aller chercher les parents de Wacek et leur raconter ce qui était arrivé à leur rejeton.

Quand ses parents arrivèrent, Wacek éclata en larmes et leur raconta le malheur qui aurait pu lui arriver. Les parents cherchèrent à le calmer, souriant d'un air gêné.

Quand la semaine suivante, la famille Galec retourna au marché, ils racontèrent à mon oncle et ma tante les problèmes qu'ils avaient eus avec leur fils après cette histoire. Il avait eu de la fièvre, des cauchemars et n'avait cessé de crier : -«  Alter sauve moi ».  Après son rétablissement, il dut affronter ses camarades qui le traitait de couard et s'étaient moqué de lui pour avoir demandé l'aide des juifs. Wacek à son tour les traita de menteurs et dit qu'il ne les croirait plus jamais. Galec et sa femme se confondirent en excuses et avouèrent qu'ils n'avaient jamais cru à ces histoires. Ils sortirent des boissons et des apéritifs, on trinqua en prononçant «  na zdrowie »[1]. Malgré cela, mon oncle resta plongé dans de mélancoliques pensées juives.


NdT

  1. Na zdrowie : « Santé » en Polonais Return

 

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