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Histoire des Juifs de Kałuszyn

par Dr N.M Gelber

Traduit par S. Staroswiecki

Kałuszyn, cette petite bourgade située sur une route de campagne entre Varsovie et Brisk, entre les villes de Minsk Mazowiecki et Siedlce n'occupe, dans l'ouvrage monumental “La vieille Pologne” de Balinsky qu'une annotation où figurent les mots suivants:

“En ce qui concerne Kałuszyn, tout ce que l'on peut dire est que cette bourgade aux maisons en bois et habitée par de très nombreux Juifs est passée de la propriété des Opatzki à celle des Rudziensky”[1].

Et c'est tout ce qu'écrit Balinsky à ce sujet sur le passé de Kałuszyn.

Il n'est pas facile de trouver des sources décrivant cette bourgade et en particulier , l'histoire de la communauté juive locale.

Les dirigeants de la communauté ainsi que les administrateurs de la synagogue ont sûrement tenu des registres à des époques antérieures, mais aucune trace n'en est restée.

Ils sont partis en fumée ou ont été perdus, comme pour d'autres communautés dans la tourmente des évènements, à commencer par les massacres et toutes les guerres que la Pologne a traversées jusqu'au début du 19ème siècle. Après de longues recherches, on peut établir que Kałuszyn était, jusqu'au début du 18ème siècle, un vieux village appartenant à la famille de la vieille noblesse polonaise, les Opatzki.

L'église du village fut construite en 1472. En 1718, un des membres de la famille Opatzki obtint du roi Auguste II le privilège d'agrandir le village et d'en faire une véritable ville.

Quelques années plus tard, le village prit l'aspect d'une ville, avec son marché et des jours fixes pour les foires. La famille Opatzki prit la décision de vendre Kałuszyn, ainsi que les villages environnants, à la famille Rudzienski.

Au 19ème siècle, le village appartenait au Général Rudzienski et à la baronne Josepha Zamoyska.

*

Au 19ème siècle, Kałuszyn s'étendit. En 1827, on recensait 145 maisons, toutes en bois et 1826 habitants vivaient en ville. En 1861, on dénombrait déjà 228 maisons, dont seulement 5 en dur et 4566 habitants, parmi lesquels seulement 608 chrétiens.

En 1877. Il y avait déjà 319 maisons, dont 8 en dur, 7532 habitants, 3628 hommes et 3904 femmes.

En 1877, le budget de la ville était de 3819 roubles de recettes et 2920 roubles de dépenses. Le capital de la ville s'élevait à 2175 roubles. A cette époque, il y avait 3 usines dans la ville, un bureau de poste, à 5 km de la ville, la gare de Mrozi suivait la ligne Varsovie -Terespol.

En 1897, la ville comptait 8428 habitants tandis qu'en 1921, elle n'en comptera plus que 6122.

*

A l'époque où Kałuszyn n'était qu'un village, une population juive y était déjà implantée. En 1714, avant même que Kałuszyn n'obtienne en privilège le statut de municipalité, les Juifs devaient s'acquitter de 500 de capitation à la communauté de Wengrov à laquelle ils appartenaient. En 1717, 1718 et 1719 également , Kałuszyn était intégré la communauté de Wengrow.

En 1717, compte tenu de la répartition des personnes imposables, la commune de Wengrov a du payer 3914 zlotys et 27 groschens. La contribution des Juifs de Kałuszyn s'est élevée à 736 zlotys et 18 groschens. Quant aux villages environnants:

Mokobody : 320 zlotys, Mrodi 160 zlotys, du métayer Nahman du village Okinin 80 Zlotys, Levke d' Olchewitz ,40 zlotys, David de Zalev 30 zlotys. (D'après le registre Ossolineum de Lemberger 89-II-279).

En 1787 Kałuszyn a payé 600 zlotys d'impôts. D'après les listes relatives à la répartition des impôts, Kałuszyn fut subordonnée à la communauté de Wengrov dès la première moitié du 18ème siècle, non pas en tant que communauté indépendante, mais en tant qu'annexe [Partykularz] de la communauté de Wengrov (ville, qui était un chef lieu dans le cadre de l'autonomie juive). Dans la seconde moitié du 18ème siècle, lors du recensement de 1764, Kałuszyn était déjà devenue autonome et avait sous sa juridiction un certain nombre de paroisses. Paroisses comprises, Kałuszyn comptait en 1764 : 566 Juifs. A l'époque Kałuszyn était située dans la région de Liw “Ziemia Liwska” qui appartenait à la région administrative de Mazowiecki[2].

*

En 1764, conformément à la loi, une commission comprenant 4 membres procéda au recensement des Juifs : Un inspecteur polonais, (un noble) et 3 représentants de la communauté juive) .. Les délégués juifs de Kałuszyn certifièrent de la façon suivante:

“Nous avons participé au recensement, établi le registre et le jurons conforme”.

Le nombre des Juifs de Kałuszyn âgés de plus d'un an était de 346 personnes. Dans 33 villages qui à l'époque étaient annexés à la commune de Kałuszyn, résidaient 220 Juifs de plus d'un an.

Répartition selon le sexe et l'état civil :

94 hommes mariés (parmi eux 10 grands-pères, 78 pères –6 enfants mariés et gendres), 1 veuf, et 83 célibataires (dont 73 Juifs, 10 personnels de maison, compagnons et orphelins ce qui faisait 178 hommes en tout.

Il y avait 134 femmes dont 64 mariés (comprenant 2 arrière-grands-mères, 9 grands- mères, 72 mères et 11 filles mariés et brus). Il y avait 18 veuves, divorcées et épouses abandonnées (1 arrière-grand-mère, 5 grand-mères, 6 mères, 6 inconnues) 52 non mariées (46 filles, 6 personnels de maison et orphelins).

Le nombre total des hommes et femmes de plus d'un an était de 272 personnes.

La décomposition des 127 Juifs de la bourgade de plus d'un an était la suivante : 54 mariés (1 arrière grand-père, 8 grands-pères, 36 pères 9 fils et gendres), 1 veuf, 1 arrière- grand- père. 72 personnes non mariées (62 fils, 10 personnels de maison et orphelins) 93 femmes dont 54 mariées (1 arrière grand- mère, 8 grand- mères, 36 mères, 9 filles et brus).Veuves, divorcées, épouses abandonnées- 1 mère. Non mariés 38 (33 filles, 5 femmes de maison).

Ensemble, le nombre d'hommes et de femmes âgés de plus d'un an se montait à 220. Il n'existe malheureusement aucune répartition des catégories professionnelles dans aucun recensement. Nous savons seulement qu'à Kałuszyn, il y avait un rabbin, 1 hazan (un chantre), et 3 bedeaux. Le nombre des chefs de famille se montait à 96. Leur occupation ne nous est pas connue[3].

*

Le mode de vie des Juifs de Kałuszyn à toutes les époques n'était guère différent de ceux des autres Juifs des autres villes et bourgades de Pologne. Leurs occupations principales étaient le commerce, la vente d'alcool et un peu d'artisanat.

Il est intéressant de savoir que les Juifs de Kałuszyn ont travaillé au 18ème dans le commerce du métal et ont livré jusqu'à la fin du 18 ème siècle du métal au département de l'armement et des munitions de Varsovie[4].

A l 'époque de la principauté de Varsovie (contrairement aux autres villes du département de Varsovie ou les Juifs avaient acheté peu de maisons et de terrains), 101 maisons appartenaient à des Juifs.

D'après les recherches des autorités, les ancêtres des Juifs de Kałuszyn avaient racheté les maisons et terrains des propriétaires de la ville et les avaient transmises en héritage à leurs enfants[5].

Les propriétaires de ces maisons n'ont pu fournir aucun acte de propriété car au fil des années, ils ont été égarés ou détruits lors de plusieurs incendies.

Au début du 19ème siècle, les Juifs de Kałuszyn ont obtenu un droit de résidence illimité. Ceci a permis aux Juifs des environs de s'installer librement dans la ville qui était pratiquement juive à 80%

Déjà, depuis le début du 19ème siècle, beaucoup d'artisans juifs de Kałuszyn avaient de plus grands ateliers. (Particulièrement, les tailleurs, cordonniers, fourreurs, et différents métiers du bois).

Les artisans avaient l'habitude d'apporter leurs marchandises dans les villages avoisinants, Dobri, Stanislavov, Chenitze, Minsk Mazowiecki et de les vendre à des paysans.

Du fait que dans cette région, il y avait peu d'artisans non-Juifs, il y avait moins de concurrence que dans d'autres villes polonaises ou les artisans chrétiens n'avaient pas permis que les Juifs fréquentent les foires avec leurs produits.

Le tissage des Taliths était une branche caractéristique de l'artisanat juif, ils les fabriquaient si parfaitement jusqu'à la fin du 19 ème siècle, que la renommée de leurs Taliths avait dépassé de loin la région de Kałuszyn.

Au fil du temps la fabrication des Taliths a pris une tournure industrielle à tel point qu'à la fin du 19ème siècle on a compté jusqu'à 400 fabricants de Taliths.

Au tournant du 19 ème siècle, les fabricants de Taliths avaient leur propre “confrérie”, bien que cette confrérie ait un caractère religieux, une maison de prière où l'on pouvait étudier le Shabbat et les jours de fête, écouter les sermons d'un prédicateur.

Outre les fabricants de Talith, les autres artisans avaient aussi leur propre maison de prières. Il en allait ainsi pour les tailleurs, fabricants de tuiles, chapeliers, fabricants de chaussettes, cordonniers, repriseurs etc…

Avec l'aide de fournisseurs qui livraient les militaires polonais (jusqu'en 1830) et aux militaires russes (après 1830).Les artisans exportaient leurs marchandises pour des commandes militaires particulières. Ils employaient aussi beaucoup de journaliers d'hommes, de femmes et même des enfants. Il y avait également des artisans qui allaient dans les villages et travaillaient pour les paysans. Ceux qu'on appelait les “vendeurs itinérants”.

Outre les commerçants qui tenaient commerce en ville, il y avait aussi parmi les Juifs de Kałuszyn des négociants en bois et des bailleurs. L'un d'eux était connu sous le nom de Moti Mikhelson.

*

Avec l'expansion du mouvement Hassidique, différents courants ont pénétré la communauté de Kałuszyn. Dans la première décennie du 19ème siècle, l'influence du rabbi de Worki s'est faite sentir très fortement. Au fil du temps, le nombre de Hassidim de Ger (Gora Kalwaria), Kozienice, Kotsk (Kock) et Strikov augmenta. Motl Mikhelson était un de ces Hassidim. Dans la première moitié du 19ème siècle, Motl Mikhelson, le riche métayer a joué un rôle prépondérant dans la vie de la communauté. Au nom des propriétaires de Kałuszyn, il avait la ville en fermage et bénéficiait de ses rentrées d'argent. Il était aussi le gestionnaire de la gazette “der Togzettel” à Varsovie.

Il semble avoir eu la main lourde en tant que bailleur juif. Ce qui provoqua de vives disputes entre lui et les gens de Kałuszyn. La controverse a tellement traversé les années que dans son testament, il avertit ses enfants en hébreu, de la façon suivante:

“Ne vous disputez pas, évitez les disputes, soyez du coté des opprimés. Du temps que j'administrai la communauté de Kałuszyn, et toutes ses recettes, une dispute s'est enflammée et toute la ville a fait le lien avec moi et s'est plainte de moi. Mon maitre, Reb Isaac (de Worki) m'a conseille d'être tolérant et d'éteindre la flamme de la discorde. Il m'a ordonné de m'y conformer sans résister et d'être ferme dans ma résolution car D... exauce les opprimés et c'est ainsi que l'opposition s'est éteinte”[6].

Au cours du temps, Il y eut d'autres disputes dans la communauté. En 1842, un grand nombre de Juifs de la communauté se déchaîna contre le rabbin. Il s'agissait des Hassidim.

Le 19 août 1842, Ils assiégèrent la synagogue dans les cris et les bagarres.

Le rapport du maire de Kałuszyn envoyé le 21 août à la commission nationale des affaires intérieures de Varsovie, décrit les évènements suivants:

“Un nombre important de personnes pieuses âgées (juives) dont la principale occupation est l'oisiveté et la rébellion a assiégé la synagogue. Il en a résulté une agitation et une clameur tout autour. Le véritable but de cette agitation n'a pas encore été examiné par la police. En ce qui concerne ce cas de rébellion, rare parmi les Juifs, j'ai l'honneur d'annoncer à la commission nationale que selon la requête que m'a transmise Shlomo Mikhelson les personnes à la tête de cette révolte seraient Zalman Psheni, Touvia Poizman et Itzik Blondstein. Ils seraient à l'origine de l'extinction des lumières de la synagogue et ne se seraient pas comportés comme ils auraient dû vis- à -vis du rabbin de la communauté”[7].

Il s'avéra que le rabbin de Kałuszyn n'était pas un Hassid et c'est pour cette raison que des Hassidim avaient déclenché des hostilités contre lui.

A cette époque, Reb Mordechai Mvorki avait un grand nombre de partisans. Son élève le plus fervent était Reb Motl Mikhalson, l'auteur du livre “Le traité de Mordekhai”, un petit-fils du rabbin Yehiel Mikhal.

L'opposition à Reb Motl provenait des éléments non Hassidiques de la ville.

Il est intéressant de noter qu'en 1844, Motl Mikhalson fut de ceux qui soutinrent le projet de rapprocher les Juifs du travail de la terre.

En 1823, l'administrateur de la Pologne publia un décret proclamant que les Juifs pourraient s'installer sur les terres du royaume et de la noblesse, à condition qu'ils s'occupent d'agriculture. On avait promis aux Juifs qui s'installeraient sur les terres, différents droits : qu'ils seraient exemptés d'impôts pendant 3 à 12 ans, qu'on leur fournirait du bois pour construire leur maison et encore d'autres réductions et allègements.

Les décrets suscitèrent dans certains milieux un mouvement en faveur du travail agricole. Certains voyaient dans l'agriculture une possibilité d'améliorer la situation des Juifs de Pologne dans les domaines économique et sociopolitique.

A la tête de ces mêmes cercles, se trouvait le célèbre riche, industriel et homme d'affaires Shlomo Zalman Poizner qui avait fondé en 1823, une implantation juive économique et industrielle à proximité de Plonsk.

En 1841, les dirigeants de la communauté de Varsovie tinrent des délibérations, dans le but d'amener les Juifs à l'agriculture et chargèrent Poizner et Jacob Epstein de publier un appel aux Juifs. L'appel “Ha modaah” préfacé en hébreu par Poizner et le rabbin Haïm fut traduit en polonais par Jacob Tugendhalz le célèbre Maskil (adepte des lumières) et censeur et signé par les rabbins Isaac Kalish Mvorki, Isaac Meïr Alter Magour, les dirigeants de la communauté de Varsovie et des hommes d'affaires assimilés Tugendholz, Jacob Epstein, Matathias Rozen et Haïm Yona Yonash. L'appel fut envoyé à toutes les communautés de Pologne. On commença aussi à collecter de l'argent et des promesses de dons pour de plus grandes sommes dans le but de fonder des colonies.

Les hommes d'affaires mentionnés étaient persuadés qu'ils réussiraient à installer sur des terres les masses juives avant la promulgation du décret relatif au service militaire des Juifs et que de cette façon ces mêmes Juifs pourraient échapper à ce décret. A cet effet, on envoya au gouverneur de la ville une demande d'autorisation et ce n'est que le 2 février 1843 que le gouverneur permis de mettre sur pied un comité pour installer des Juifs sur des terres.

Après les préparations et négociations avec les communautés juives et les propriétaires terriens juifs, le gouverneur réunit le 30 décembre 1843 une délégation composée de 9 représentants juifs représentant les 8 provinces de Pologne avec à leur tête le rabbin de Worki, Reb Itzhak Kalisz. Prirent pris part à cette délégation le rabbin de Seini, Rabbi Yehuda Bakhrakh, Menahem Mendel Lipmanovitch, le rabbin de Zdounska-Wola, le rabbin de Zakrotchin Reb Raphaël Levental, Moshé Teitelboim, Shulem Shabtai Erlikh, Moshé Eli Morgenstern de Lublin, Yossef Safir et Reb Motl Michalson de Kałuszyn.

Lors de l'audience, le gouverneur, le prince Paskevitch prononça de dures paroles moralisatrices, disant que les Juifs étaient de mauvaises gens et n'avaient pas de miséricorde dans leur cœur ,même pour leurs propres frères, que les masses juives mourraient de faim en Pologne parce qu'elles n'avaient aucune occupation et qu'on pourrait les sauver de la faim si elles s'investissaient dans l'agriculture, mais que les Juifs riches ne voulaient pas aider à fonder des colonies et par-là même ,venir en aide aux Juifs qui recevaient des terres du gouvernement et des propriétaires privés afin de les coloniser.

La délégation quitta, affligée, Namiestnik et le 2 janvier 1844, 3 jours plus tard, publia un appel en hébreu et en Polonais destiné aux Juifs riches.

Mais même le second appel des maîtres et rabbins n'eut pas d'effet sur les riches notables.

 

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Appel a venir en aide aux pauvres de la communaute

 

Ce document est écrit en Hébreu et en Polonais. Il est daté du 14 Décembre 1843.

Il s'agit d'un appel lancé aux Juifs riches de la communauté pour qu'ils aident leurs pauvres correligionnaires à acheter des terres et s'y installent, afin d'éviter que les masses juives ne meurent de faim. De plus, cet appel remercie l'administration pour l'intérêt qu'elle porte au sort des pauvres juifs. Cet appel est rédigé dans la phraséologie rabbinique courante demandant aide et assistance. Afin de donner plus d'impact, plusieurs citations bibliques ont été insérées. L'appel s'adressait également à toutes les communautés juives de Pologne et demandait instamment sa diffusion auprès du public. Cet appel remerciait aussi le Comte Namiastnik pour le grand intérêt qu'il portait au sort des populations juives. Cet appel est signé par :

Rabbi Itzhak Kalisz de Worki.
Rabbi Yehuda Bakhrach de Seini
Rabbi Menachem Mendel Lipmanovitch de Zdunska Wola
Rabbi Raphael Leventhal de Zakroczyn
Moshé Teitelbaum
Shlomo Shabtai Ehrlich ,
Moshé Eliyahu Morgenstern de Lublin
Yossef Saphir
Freedom Press, imprimé à Varsovie le 30 Janvier 1844 Censeur en chef Signé : Niezabitowski
(Document traduit librement par le traducteur). Ce document fait partie de la collection d'archives numéro 5 de Mr. Tugenholtz et se trouve aux Archives Générales Juives à Jérusalem

*

Au 19 ème siècle, les années 40 furent de tristes années pour les Juifs de Pologne. Après les décrets de Nicolas 1er relatifs à des restrictions au commerce, à l'industrie et à l'artisanat, un décret relatif à la conscription durcit le mode de recrutement du service militaire du 1er janvier 1844.

En raison des efforts pour réformer le mode de vie juif, un décret relatif à l'habillement juif fut promulgué : Les Maskilim ainsi que les rabbins orthodoxes soutenaient que la tenue vestimentaire ne faisait pas partie intégrante de la foi juive. La question de savoir s'il fallait supprimer la tenue vestimentaire juive se posait déjà à l'époque de Firiorikin, élite de la Pologne indépendante (1788-1792).

A cette époque, des poètes Juifs et non-Juifs tels que Mendel Lepin, le docteur Kolmanzon, le docteur Polonus- dans leur projet de réformer la vie juive- avaient suggéré d'abolir la tenue vestimentaire juive. Mais la question n'était restée que d'ordre académique. En 1844, une loi entra en vigueur en Russie, que les Juifs n'auraient plus le droit de porter des vêtements juifs et que ceux qui persisteraient à vouloir porter de tels vêtements devraient payer un impôt spécial. Cette même loi fut introduite en Pologne. Les Maskilim et de nombreux Mitnagdim étaient favorables à cette loi. Les Hassidim et leurs partisans étaient contre cette loi.

En mai 1846, Moïse Montefiore se trouvant à Varsovie, accueillit une délégation à la tête de laquelle se trouvait Moshé Zalman Poizner, La délégation était composée également des rabbins de Worki et de Ger. Pozner avait alors expliqué à Montefiore qu'il allait prendre au mot les exigences du gouvernement et qu'il allait troquer sa tenue judéo- polonaise pour une “germanique”.

Lorsque cette loi fut promulguée, la communauté de Kałuszyn envoya le 27 juillet 1846 à la commission royale aux affaires intérieures une pétition pour annuler l'impôt spécial sur les vêtements juifs en justifiant que la majorité des Juifs de Kałuszyn étaient des commerçants qui n'avaient pas le capital nécessaire pour s'acheter des nouveaux vêtements ; également que les autres Juifs n'étaient pas aisés, qu'ils étaient en majorité des intermédiaires et ne pouvaient se procurer de nouveaux vêtements.

La commission royale fit peu de cas de la demande de la communauté de Kałuszyn (signée par Baruch Rubinstein et Shlomo Mikhalson).

La communauté de Kałuszyn n'était pas la seule à avoir soumis une telle demande.

Le décret fut maintenu et les Juifs voulant conserver leur tenue vestimentaire durent payer l'impôt exigé.

Du fait qu'il fallait payer l'impôt en une seule fois, le 28 Octobre 1846, la communauté de Kałuszyn fit la demande à la commission royale des affaires intérieures de fractionner le paiement de l'impôt en au moins quatre versements.

*

Dans la seconde moitié du 19ème siècle, l'agglomération juive s'étendit et élargit ses activités économiques. Les ateliers d'artisans - particulièrement les cordonniers, les tailleurs, et les fourreurs- travaillaient en majorité pour des fournisseurs de l'armée du fait que toutes les cordonneries, les ateliers de tailleurs occupaient un grand nombre d'apprentis et d'ouvriers et en sus de l'armée, les marchandises étaient livrées sur les marchés.

Dans les années 70, il y avait:

3 ateliers de fabrication de Taliths dont chacun fabriquaient annuellement des Taliths d'une valeur de 5340 roubles.

Une usine de savon et de lampes pour une production annuelle de 6800 roubles.

Une usine de vinaigre, 2 usines de production d'huile d 'une valeur 13 600 roubles et une tannerie livrant du cuir aux militaires.

Quelques années plus tard, en raison du nombre important de commandes, une seconde tannerie fut fondée, employant ensemble entre 40 et 50 personnes – des ouvriers qualifiés. La majorité de la population juive était employée à cette époque dans les professions mentionnées ci dessus. A la fin des années 90 plus de 1000 ouvriers travaillaient pour les fournisseurs de l'armée. Avec l'essor de l'artisanat, on assista à la formation d'associations prenant déjà la forme d'association par groupement d'intérêts. Le nombre de fabricants de Taliths augmenta particulièrement. Outre les ateliers, quelques plus grandes usines de Taliths s'ouvrirent et employèrent un plus grand nombre d'ouvriers. Les Taliths de Kałuszyn devinrent un article commercial renommé sur le marché russo-polonais.

Le développement se poursuivit jusqu'au début du vingtième siècle. Ensuite, on ouvrit un grand moulin et le nombre de petites usines s'étendit. La ville devint une ville ouvrière typique tout en conservant cependant un caractère religieux et au cours du vingtième siècle, elle fut l'une des premières villes juives dotées d'un syndicat professionnel organisé.

*

Selon une enquête statistique précise menée après la première guerre mondiale à Kałuszyn[8], il fut établi que dans le secteur juif sur lequel une enquête détaillée particulière avait été menée que sur 231 entreprises, 225 étaient encore actives, que sur ces 225 entreprises, 106 employaient des salariés et 119 sans salariés

Les 225 entreprises étaient composées de 33 propriétaires, (15,9%), 14 assistants membres de la famille (3,4%) et 178 salariés (42,7%)

Parmi les salariés, il y avait 12 non-Juifs (6,6%) et 116 Juifs (93,3%), on comptait 137 hommes, 46 femmes et 12 enfants. Les 225 entreprises étaient réparties selon les branches industrielles suivantes :

  Entre
Nombre total
prises Celles actives Personnel employé propriétaires Membres de la famille Salariés juifs Non-Juifs
Pierre, argile 1            
Métal 10 9 13 9   4  
Machines 2 2 2 2      
Bois 11 11 19 11   8 (7 H.1 E)  
Caoutchouc 2 2 2 16      
Cuir 16 16 44 16 2 19 (15H.3 F) 7
Textile * 14 13 32 13   19 (15H.2 F. 2E)  
Confection et fourrures ** 126 124 207 124 2 81(66H.8 F. 7E)  
Alimentation et loisirs 31 30 64 30 8 21 (19H.2 F) 5
Papier 1 1 7 1   6 (3H.2 F. 1E)  
Produits chimiques 1 1 4 1   3  
Industrie du bois 9 9 12 9   3  
Industries de nettoyage 7 7 11 7 2 2  

H = Homme F= Femme E= Enfant
*= Sont comptabilisés des centaines de petits fabricants de Taliths qui travaillaient dans leurs ateliers
** = En plus de ces entreprises, il y avait aussi un grand nombre d artisans, tailleurs, fourreurs, cordonniers avec leurs propres apprentis et ateliers.

*

Les éléments Hassidiques avaient pris une importance considérablement dans les affaires internes de la communauté. Dans la ville, “le rabbin des Hassidim de Kałuszyn”, rabbi Elhanan de Kałuszyn était à leur tête. A sa mort, son fils, le reb Zelig lui succéda et à la mort de Rabbi Zelig, ce fut son gendre rabbi Naftali. Des maîtres d'autres villes venaient également se joindre à ces Hassidim.

Il y avait en ville de nombreuses maisons d'études, celles de Ger, de Kotsk de Strikow, Ostrow, Korynica, Parysow, Radzymin, Skerniewitz,etc.. Toutes ces maisons d'études Hassidiques avaient donné à la ville un véritable caractère Hassidique. Mais en réalité, il y avait également des cercles de Mitnagdim, particulièrement parmi les artisans.

Au début du 20 ème siècle, les fabricants de Taliths fondèrent une association à caractère Mitnagued (Juifs orthodoxes). Avant la 1ère guerre mondiale on assista à l'éclosion de toute une série d'associations et d'institutions, telles que :

“Hevre Bokherim”, une association de jeunes hommes célibataires, “Biker Kholim” une association de visite aux malades, “Lines Hatzedek” association le sommeil du juste qui trouvait endroit ou dormir la nuit, “Hakhnosses Kalè” qui aidait les jeunes filles démunies , “Hakhnosses Orkhim” en charge de l 'hospitalité, l'association des Mishnaiot, qui aidait à lire les traités de la Mishna , la “Gmiles khsodim” qui donnait des prêts sans intérêts, la “Hevrah Akhim” mutuelle d'entraide fraternelle qui aidait les gens dans le besoin et d'autres encore.

Après l'incendie de l'ancienne synagogue, située près de la rivière, on entreprit la construction (de l'initiative des riches de la communauté : Reuven Mikhelson Itzhak Munk et Jacob Stein) d'une nouvelle synagogue.

*

Au 18 ème siècle, Kałuszyn en tant que petite communauté juive, ne pouvait subvenir seul aux besoins d'un rabbin. Rabbi Yehiel Michal[9] fut un des premiers rabbins de la ville. Il fut le rabbin de trois communautés en même temps : Siennica, Minsk Mazowiecki et Kałuszyn. Recevant son salaire des 3 communautés, il devait cependant résider à Kałuszyn conformément à l'accord.

Le Rav Yehiel Michal était connu du peuple en qualité de rabbin de Minsk même s'il dirigeait son rabbinat de Kałuszyn.

Rav Yehiel Michal était issu d'une longue lignée familiale, qui venait du Gaon Reb Yehiel Sirkis, le Baal Haba 'h. Reb Yehiel Michal fut le fondateur de la célèbre famille Michalson, qui dirigea la communauté de Kałuszyn pratiquement jusqu'aux dernières années de la première guerre mondiale[10].

*

Jusqu'au début du 20 ème siècle, la ville avait préservé son caractère traditionnel et religieux. Au fil du temps, de grands changements se produisirent.

La jeunesse de Kałuszyn avait pris une part active à la révolution de 1905.

Entre 1905 et 1914 on ouvrit des bibliothèques et on assista à la création d'associations culturelles suivie d'activités associatives initiées par les partis politiques. La vieille ville juive devenait de plus en plus ouverte au monde à l'époque de la première guerre mondiale et à l'époque de la fondation du nouvel état polonais.

Le tableau statistique relatif au développement de la population juive se présente ainsi :

Année Population totale Population juive En ville Dans les villages
1764   566 346 220
1827 1819 1455 80 %  
1857 4234 3667 86.6%  
1861 4566 3958 87%  
1897 8428 6419 76.2%  
1921 6122 5033 82.2%  

Entre 1827 et 1897 la population juive se presque multiplia presque par cinq. En 1921, la population diminua en raison de tous les évènements de la première guerre mondiale.

En 1921 on donna une affectation différente aux faubourgs des alentours de Kałuszyn. C'est la raison pour laquelle en réalité, la population comptait 7816 personnes et le nombre de Juifs 5295. En pourcentage, la population juive constituait 67,7% de la population totale.


Notes de bas de page

  1. Kałuszyn, “tout ce que l'on peut dire est que cette bourgade aux maisons en bois et habitée par de très nombreux Juifs est passée de la propriété des Opatzki à celle des Rudziensky” Varsovie 1843, t.1 p.549 Revenir
  2. Jozef Kleczynski I Franczisek Kluczycki; recensement des Juifs de Kossou, Cracovie 1898 p.20 Polonais Revenir
  3. Dr. Raphael Mahler, Les Juifs dans l'ancienne Pologne à la lumière des chiffres, Varsovie 1958. Tables 9,25,26,35 et 41 Revenir
  4. Dr. E. Ringelblum , Projets et expériences des ateliers juifs sous le règne du roi Stanislawski, Varsovie 1939, str 55 Revenir
  5. E. N. Frenk Histoire des Juifs du duché de Varsovie, “Ha Tekufa” vol.15-14, p 382 Revenir
  6. Ecrit par son petit fils dans l'ouvrage “La tente d' Itzhak à Moshé ben Aaaron Walden, Piotrokov 1913. p13. section 25 Revenir
  7. Je remercie mon ami le Dr. Mahler pour le document qu'il m'a autorisé à utiliser tiré de son livre “ Le combat entre les Hassidim et les Juifs des lumières ” en Galicie, Pologne Revenir
  8. Entreprises industrielles juives en Pologne, une étude menée par l'ingénieur Heller, Varsovie 1922, 1ère et 2ème parties, région de Varsovie Revenir
  9. Moshé Pinhas Walden “Yekhabed Av” Pietrkow, 1923, p 16. sec 101 Revenir
  10. Généalogie de la famille Michalson :Yoel Sirkis (1561-1640) baal ha ba”kh Shmuel Tzvi avda”k de Pintchev, Tzvi Hersh avda”k de Tchortkov, Arieh Yehuda Lib de Cracovie, Brisk et Lithuanie du em”kh “shaagat arye” (le rugissement du lion) Yoel Mevumov, Shlomo Zalman,Yehiel Mikhal avd”k Kałuszyn, Shlomo, Motl Mordekhai.
    Avd”k (Av beth Din Kehila )- Juges des tribunaux rabbiniques des villes mentionnées. Revenir

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Updated 22 Oct 2008 by LA