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From a Ruined Garden

The Memorial Books of Polish Jewry

Edited and Translated by
Jack Kugelmass and Jonathan Bioyarin
With Geographical Index and Bibliography by
Zachary M. Baker
Published in association with the
United States Holocaust Memorial Museum
Washington, D.C.
INDIANA UNIVERSITY PRESS
<https://www.indiana.edu/~iupress/>
Bloomington and Indianapolis




[Page 573]


La ville sans Juifs

Yekhiel Kirshnbaum

Traduit en anglais, en français par Christine Lassiège et Reine Rotten

 

Après la Libération

(“D'un jardin en ruine” page 254)

Pendant vingt-et-un mois je me suis caché à Prague. Pas moins de quarante-sept Juifs ont trouvé refuge dans cet abri pendant cette période, certains pour une courte durée, d'autres pour un peu plus longtemps. À la fin nous étions treize Juifs, venus de différents coins de la Pologne, qui nous cachions dans la maison des Skolsky, une famille polonaise. Pour notre entretien, ils recevaient de l'argent de l'organisation d'assistance en lien avec la « Délégation de Londres ». Nous savions que Mme Berman (« Basha »), Samsonovitsh (“Leshtshinsky”) de Pietrkow, Paula Bugajska, et d'autres avaient contribué à mettre en place cette assistance. Dans l'abri, il y avait aussi avec moi Mendl Openhaym et son fils Yankel, ainsi que Dina, une des petites-filles de la famille Levental (elle s'appelle maintenant Landboym), et aussi, pour une courte période, Yankel Grinberg et son fils Srulik.

Notre présence dans l'abri a été détectée deux fois, et à chaque fois les extorqueurs nous ont pris tout ce que nous possédions.

Le 16 septembre 1944, Prague fut libérée. J'ai quitté l'abri et avec Yankel Openhaym je suis parti pour Minsk, libéré depuis le début du mois d'août.

Epuisé, je me suis mis en route. La pensée que je pourrais bientôt voir notre ville m'a néanmoins encouragé à entreprendre ce premier voyage difficile après la Libération.

Je suis arrivé dans la soirée. Les rues de Minsk étaient vides, sans aucun signe de vie. Pas une seule lumière ne brillait aux fenêtres, et cela n'était pas seulement dû au couvre-feu lié à la guerre.

Je suis allé voir une connaissance polonaise, Karol Brutkovsky. J'ai été chaleureusement reçu. On m'a nourri et invité à passer la nuit. Le jour suivant, on m'a servi un petit-déjeuner. Le cœur tremblant j'ai parcouru la ville.

Ma première impression fut que tout s'était enfoncé dans la terre. Les rues étaient vides. Les quelques personnes rencontrées étaient étrangères à la ville, des Polonais que les Allemands avaient expulsés de la région de Poznan et qui s'étaient installés à Minsk. Les Polonais que je cherchais avaient déménagé à la campagne par crainte des coups de canon fréquents tirés par les Allemands de l'autre côté de Varsovie. Je vivais dans un des logements inoccupés, où l'on me laissait la possibilité de rester. J'errais à travers les rues vides, complètement seul, sans savoir moi-même ce que je cherchais dans cette ville qui avait été pleine de Juifs, y compris ma famille...

Quelques jours plus tard, j'ai trouvé d'autres Juifs qui commençaient à se regrouper dans la maison attenante au restaurant du Sefer sur la rue Kolia. Dix-sept âmes vivaient là, isolées et sans attaches, malades, épuisées, sans nourriture. Les autorités leur prêtaient peu d'attention. Nous avons essayé d'améliorer notre situation et même d'établir un contact avec des Juifs de l'Armée rouge. Cela nous a un peu aidés.

Un jour mon camarade Shaye Openhaym vint à Minsk. C'était le cinquante-deuxième jour de l'insurrection à Varsovie. Shaye était un officier de l'armée intérieure, il avait pris une part active dans la révolte. Il a été blessé deux fois. Lorsqu'il est devenu clair que la révolte allait être étouffée dans le sang, il a traversé la Vistule à la nage, arrivant presque moribond à Minsk. Dès qu'il s'est rétabli, il a immédiatement quitté la ville. D'autres qui en étaient capables sont également partis, la plupart pour aller à Lublin, où les Juifs survivants s'étaient rassemblés. Ceux qui restaient vivaient dans l'espoir que les nouvelles autorités en cours d'installation allaient les aider d'une manière ou d'une autre. C'étaient des malheureux qui n'avaient plus rien ni personne. Ils pensaient que leurs amis polonais les aideraient. Cela s'est rapidement avéré naïf de leur part.

Je voudrais mentionner quelques faits : durant l'occupation, le cordonnier Khrushchik m'avait promis qu'il m'aiderait à me cacher. Cependant plus tard, quand j'ai vu comment il rachetait pour quelques centimes des machines qui avaient été volées à des Juifs, j'ai perdu confiance en lui. Après être arrivé en ville, j'ai décidé de lui rendre visite. Peut-être pourrait-il m'aider d'une manière ou d'une autre. Mais il m'a salué si froidement que je l'ai immédiatement quitté. Peu de temps après il a été abattu. Il y a eu des rumeurs selon lesquelles des juifs se seraient vengés de lui. Quelques années plus tard, au cours d'un procès, il s'est avéré qu'il avait été abattu par l'armée de l'intérieur, parce qu'il ne voulait pas donner une somme d'argent qui était exigée de lui.

Mon expérience avec Khrushchik, qui avait amassé tant d'argent grâce à des richesses volées à des Juifs, m'a montré que je ne pouvais pas compter sur des individus. J'ai décidé de m'adresser aux nouvelles autorités, au Major Kozak, qui avait autrefois appartenu au parti socialiste polonais.

Par hasard, j'avais appris que dans le bureau du conseil municipal étaient rassemblés de grands stocks de vêtements, sous-vêtements et de literie ayant appartenu aux Allemands en fuite. Evidemment cela incluait de nombreuses choses que les Allemands avaient volées dans les maisons juives du ghetto, abandonnées après que les Juifs avaient été emmenés à Treblinka.

Mes tentatives pour obtenir quelque chose du conseil municipal furent vaines. « Si vous pouvez nous prouver que quelque chose ici appartient à des Juifs survivants, alors nous mettrons tout en œuvre pour leur restituer » me dit avec malhonnêteté le major. J'avais bien connu Kozak avant la guerre, aussi me suis-je autorisé à élever vraiment la voix en lui répondant. Mais cela n'a pas aidé non plus. Deux semaines plus tard il n'y avait plus rien à dire. Les stocks de vêtements avaient été distribués aux proches des membres du conseil municipal. La vingtaine de Juifs survivants qui étaient si malades n'ont pas obtenu une seule nippe …

Cela m'a mis très en colère. J'ai compris que personne ne nous aiderait, que même dans la nouvelle Pologne, un mur de séparation se dressait encore entre nous et notre entourage.

Les nouvelles autorités se sont établies, mais la situation des quelques Juifs s'est aggravée, au point que nous ne pouvions même plus respirer librement. On a entendu plus d'une fois un Polonais dire à la vue d'un des Juifs survivants : « Tant de ces chiens sont encore ici ». Nous avons senti que nous devions à nouveau expliquer à nos concitoyens pourquoi nous avions survécu. Nous avons compris que nous les mettions mal à l'aise, que les Polonais avaient des choses sur leur conscience, et que lorsque nous nous sommes simplement présentés devant eux, nous leur avons rappelé trop fortement leur collaboration avec les occupants, notamment en ce qui concerne l'extermination des Juifs…

Un jour j'ai décidé de retourner chez nous. Il s'est avéré que, après l'expulsion des Juifs, notre maison avait été occupée par Lucas Kaminsky. Dès mon retour il avait disparu de la ville.

Je suis resté plusieurs jours dans l'incapacité d'approcher de notre maison. Finalement j'ai rassemblé mes forces et mon courage et j'y suis allé. La porte était fermée. Je n'ai demandé la permission à personne avant d'enfoncer la porte et d'entrer. La maison était vide. Tout ce qui restait était un peu de tourbe à usage de combustible.

J'ai trouvé du vieux bois de charpente que j'ai assemblé pour faire un lit et une table, et j'ai commencé à vivre dans notre vieille maison… Bientôt j'ai aussi compris pourquoi Kaminsky s'était enfui dès qu'il a découvert que j'étais encore en vie. Il est apparu que pendant l'expulsion, mes deux oncles, Moyshe Kirshnboym et Srulik Rubinshteyn étaient cachés dans notre grenier avec leur femme et leurs enfants. Kaminsky les a trouvés. Il a appelé des Allemands qui les ont tous abattus dans notre cour. Ce cauchemar ne m'a jamais quitté tout le temps que je suis resté dans notre maison. J'avais peur que Kaminsky ne revienne et essaye de soulager sa conscience en tuant le dernier témoin… De telles choses commençaient à se produire.

En plus des cauchemars que je faisais pendant que j'étais dans notre maison, j'ai rencontré d'autres problèmes, ceux-là concrets. A côté de nous vivait Mm Izbrekht, la femme qui vendait de l'alcool. Apparemment elle ne pouvait pas non plus supporter mon retour à la maison, et elle a commencé à me harceler en m'envoyant des soldats russes ivres qui cherchaient des prostituées. Les soldats ont commencé à venir chaque soir, parce qu'elle leur disait que dans cette maison il y avait plusieurs filles disponibles… Plus d'une fois au milieu de la nuit j'ai dû ouvrir la porte aux soldats qui regardaient partout avant d'admettre par eux-mêmes qu'il n'y avait personne et qu'ils ne partent frustrés. Finalement j'ai dû déménager dans une autre maison.

Progressivement la vie en ville est devenue de plus en plus dangereuse. On signalait régulièrement le meurtre d'un Juif ici ou là. A Mrozes, un membre de l'armée intérieure avait tiré sur un Juif, comme je l'ai appris quelques années plus tard.

Dans le même temps des vols de biens appartenant à des Juifs se sont produits. Tout ce que les Allemands n'avaient pas réussi à voler, les Polonais s'en sont occupés. Ils démolissaient les maisons des Juifs afin d'utiliser les briques pour se construire des maisons. Et même Yathatsy, membre de la commission du peuple à Minsk, a mis à bas le mur du cimetière juif, qui était encore plein de pierre tombales juives à l'époque, et a utilisé les pierres pour construire sa maison.

De plus, le président du syndicat n'était autre Pan Melasa, qui m'obligeait, pendant la guerre, à lui remettre toutes mes possessions, à chaque fois qu'il me repérait hors du ghetto sans le brassard bleu et blanc que les Juifs étaient tenus de porter. Sinon il me menaçait de m'emmener à la Gestapo...

En outre, les tensions entre les différents parties prenantes et la République populaire de Pologne, ainsi que les meurtres commis parmi les Polonais eux-mêmes, inquiétaient les Juifs. Les Polonais accusaient la « communauté juive » de tous les maux de la ville. Enfin, une nuit sept Polonais furent abattus en même temps. Parmi eux se trouvaient nombre d'antisémites notoires et même un communiste. La milice de la ville comprenait quatre jeunes Juifs qui avaient survécu à la révolte du ghetto de Varsovie. Ils ont été si effrayés qu'ils ont fui la ville. Un jour, après que Varsovie eut été libérée, j'ai décidé de quitter Minsk aussi, je suis parti à Varsovie. Tous les autres ont peu à peu quitté Minsk. Seuls restèrent Shike Tayblum et les deux filles converties des Holzband.

Pendant les années où j'ai vécu à Varsovie avant d'émigrer en Israël, je me suis souvent rendu à Minsk. Cependant Je n'y ai jamais passé une seule nuit. Cela n'est pas difficile de comprendre pourquoi.

L'insécurité était constante à cette époque. Il y avait des dénonciations quotidiennes par un Polonais contre un autre. Chaque fois que deux voisins se battaient, ils se ruaient immédiatement vers les nouvelles autorités avec des dénonciations, et la milice avait fort à faire.

 

L'inauguration du mémorial au cimetière

Durant mes fréquentes visites à Minsk, je me promenais souvent dans le cimetière. Les seules traces de la vie juive de la ville s'y trouvaient : les dernières pierres portant des lettres juives, celles qu'ils n'avaient pas réussi à emporter... C'est là, au cimetière, que se trouvait également l'immense fosse commune de plus de mille Juifs qui avaient été abattus le jour de la rafle dans les rues de la ville. J'eus l'idée d'ériger une pierre tombale, un mémorial sur le site de la fosse commune. J'en ai parlé aux Holtzband, pour essayer de les convaincre d'approcher les autorités au sujet de ce projet. Mais rien ne s'est passé jusqu'à ma visite à Paris. Là j'ai rencontré des compatriotes, je leur ai proposé ce projet, qu'ils ont pris en charge.

Plusieurs années se sont passées, et le projet a commencé à se réaliser. Une somme d'argent importante a été collectée en vue de payer la construction du monument et moi, avec Moyshe Bornshteyn, nous avons déployé notre énergie pour que le travail commence. Nous voulions nous assurer que le mémorial serait fait de matériaux qui ne pourraient pas être facilement détruits - un marbre épais, massif et durable.

L'inauguration du mémorial fut fixée au 21 aout 1967, date du vingt-cinquième anniversaire de l'extermination, en présence d'un groupe important de nos concitoyens qui avaient fait spécialement le voyage de Paris pour être présents.

Conformément au protocole qui avait été établi en Pologne, des représentants officiels du gouvernement, les écoles, les comités d'entreprise et autres ont tous été invités.

La cérémonie était supposée commencer à quatre heures de l'après-midi. C'était un jour glorieux. Le soleil brillait. Il faisait chaud. Chacun attendait le moment solennel.

Tous les invités s'étaient rassemblés sur place. Il était environ quatre heures moins dix. Soudain le ciel s'est couvert. Il est littéralement devenu noir et une pluie battante, bizarre, s'est mise à tomber. Tout le monde a commencé à se disperser. Seuls quelques invités officiels sont restés sur place. La cérémonie a été écourtée. Les invités de France et les quelques Juifs originaires de Minsk venus de Varsovie sont allés au restaurant pour prolonger la cérémonie. Un quart d'heure plus tard le soleil est revenu et le temps était à nouveau magnifique, et il en a été ainsi toute la journée.

C'était un évènement extraordinaire. Les cieux ont pleuré avec nous, et je ne peux pas oublier la scène, même aujourd'hui….

Il faut reconnaitre que le gouvernement local a été extrêmement coopératif concernant ce monument, parce que son implantation entrainait une révision complète du plan d'urbanisation de la ville. Le plan prévoyait la construction d'une grande artère traversant cet endroit et menant de l'hôpital à la rue de Varsovie. Grâce à notre intervention, le site du cimetière est resté intact.

Il est intéressant de noter que peu après l'inauguration de notre monument, en 1968, les Juifs de Zhirardov ont projeté de faire la même chose. Ils n'ont même pas été autorisés à entrer en Pologne. Ils ont été forcés de quitter l'aéroport de Varsovie et de retourner directement à Vienne...

Les autorités locales de Minsk ont promis d'entretenir le cimetière juif et les alentours du monument. De son côté la délégation juive de Paris a promis une somme de quatre cents dollars pour l'école, qui a été reconstruite sur l'emplacement de l'ancienne école Copernic. L'argent a été envoyé quelques mois plus tard. Le gouvernement municipal voulait aussi une donation pour un jardin d'enfants sur le site de l'ancien Talmud Torah dans la cour du Rabbin. Cela n'est resté qu'un rêve, car le jardin d'enfants devait porter le nom des Juifs massacrés, et rien n'a été fait entre-temps.

 

Ma dernière visite en ville avant d'émigrer.

Dans la Pologne d'après-guerre, il y avait des Juifs pour penser qu'après l'expérience de la guerre, il serait possible à ceux qui le désiraient tant de continuer à vivre paisiblement en Pologne aux côtés de la population polonaise, et que celle-ci se purifierait progressivement du poison de l'antisémitisme. Cela s'est avéré une illusion. Moi aussi, je m'étais trompé, et quand je m'en suis rendu compte, j'ai décidé de quitter ce pays ingrat.

Je suis allé à Minsk pour la dernière fois, dire au revoir à la ville dans laquelle j'étais né et j'avais grandi, la ville où j'avais espéré et rêvé. Je suis venu contempler pour la dernière fois la ville dans laquelle j'avais survécu au pogrom et où j'étais resté plâtré pendant neuf mois pour me remettre des coups que m'avaient porté les hooligans enragés, la ville dans laquelle j'avais survécu à la guerre et à l'extermination...

Je voulais faire face une fois de plus à l'injustice historique, et peut-être voulais-je regarder une fois de plus, droit dans les yeux, ma propre déception...

Une fois de plus je voulais voir la ville où plus de cinq mille Juifs avaient mené une vie productive, mais n'avaient jamais échappé à la catégorie de citoyens de seconde zone.

Toute la journée j'ai marché dans la ville sans rencontrer un seul visage familier et plaisant, sans voir rien qui me soit proche Plus que jamais j'ai senti que tout m'était étranger, traitreusement étranger.

Rue de Varsovie, je suis passé devant le moulin de Schultz et je me suis souvenu : cet Allemand de souche a été le premier, après l'arrivée des Allemands, à commencer à porter une croix gammée et à capturer des Polonais pour les envoyer travailler en Allemagne. Mais on lui a même pardonné cela. Personne ne voulait plus en parler. Il s'en est sorti avec une simple peine de prison. Après tout, Schultz n'était pas juif, donc personne ne le détestait à ce point.

Une de mes connaissances, un gentil, m'a arrêté et m'a demandé : "Qu'est-ce qu'ils font de vous ?"

Je lui ai répondu par une question « Qu'est-ce que vous voulez dire par 'de vous' » ?

« Eh bien, des Juifs » ? J'ai gardé le silence, attendant qu'il continue, et il n'a pas tardé à m'expliquer « Si vous aviez perdu contre les Arabes, Gomulka aurait peut-être déposé des couronnes sur les monuments, mais maintenant nous sommes heureux que les Soviétiques aient pris une raclée." J'ai gardé le silence, car il était membre du parti et j'avais peur qu'il n'essaie de me provoquer.

Je suis passé devant les anciens magasins et ateliers juifs où les Juifs avaient travaillé et fait des affaires. J'avais l'impression d'être considéré comme un invité indésirable.

Je suis parti et je me suis retrouvé immédiatement devant l'usine qui avait appartenu au Juif Fogelnest. J'y avais travaillé après la guerre. Je n'ai pas trouvé une quelconque trace du passé, bien que l'usine fonctionnât comme avant la guerre. Même les ouvriers aux côtés desquels j'avais travaillé ne me reconnaissaient plus. J'avais voulu travailler avec ceux qui avaient dévalisé notre maison après l'action dans le ghetto, Mais aucun d'entre eux ne voulait même me parler...

J'étais de retour sur la place du marché, qui avait été entièrement reconstruite. Le long d'un côté de la place, une grande maison avec des logements pour les ouvriers de l'usine de Rudsky avait été construite. De là, je suis allé jeter un coup d'œil à la rue Nadzhetshna (la rue du rabbin), à la rue Shenitzka. Était-il vraiment possible que je ne rencontre pas un seul visage familier du passé ?

Il ne m'a fallu que quelques minutes pour arriver au cimetière juif. De loin, je pouvais voir le sommet du monument. Quand je suis arrivé, mes yeux ont absorbé le terrible désordre et la négligence de l'endroit. Le monument était effectivement intact, mais tout ce qui l'entourait était envahi par les mauvaises herbes ; les autorités avaient si vite trouvé le moyen de ne pas tenir leur parole d'entretenir correctement le lieu... Mes yeux ont également été frappés par la vue des pierres tombales brisées éparpillées tout autour. L'endroit était encore utilisé comme carrière de pierres pour paver les routes et les rues secondaires de la ville... De cet endroit, je pouvais également voir les belles maisons neuves qui avaient été construites dans la rue Shenitza. Oui, la rue Shenitza sans un seul Juif ! Je suis passé par cette rue en revenant du cimetière. J'ai croisé un certain nombre de personnes le long de cette rue, et elles m'ont regardé comme si j'étais un fou. Je me suis dit : "C'est bien que je ne revienne plus ici. C'est bien que rien ne me ramène plus jamais dans cet endroit qui m'est devenu si étranger."

Oui, j'ai rencontré un Juif là-bas, Shiye Tayblum. Il a une petite boutique, il installe des vitres. C'est comme ça qu'il gagne sa vie. Il habite dans la rue Mostowa dans la maison de Glicksberg, dont il est entré en possession après la guerre. Non, il n'avait pas besoin de rien d'autre que de manger et de boire. Il était satisfait. Il ne ressent pas l'étrangeté ambiante. Il passera ici ses jours … C'est singulier….

Je suis arrivé sur le site de l'ancienne école Copernic. Aujourd'hui l'ancienne école porte le nom de la combattante juive Hanka Sawitcka. Encastrée dans le mur du bâtiment rénové se trouve une plaque commémorative rappelant que deux-cent-vingt Juifs ont été brûlés vifs ici le 10 janvier 1943. La plaque, qui avait été apposée ici par nos compatriotes de Paris en même temps que le mémorial était inauguré, était toujours intacte à cette époque. Espérons que personne ne la vandalisera.

Je me suis tenu devant la plaque rappelant tous ceux qui sont passés par les camps et qui ne sont plus parmi les vivants. J'étais moi-même venu ici juste après le massacre. C'est là que j'ai commencé à réfléchir aux moyens d'organiser la résistance. C'est d'ici que sont partis les premiers groupes qui sont allés rejoindre les partisans. Que j'ai remis au fils du directeur, Adolf Dobrzynsky, tout ce que je possédais en échange de sa promesse de me cacher. Je lui avais donné un manteau en fourrure, le violon de mon frère et un peu d'argent. Il nous a donné une adresse où nous pourrions le rencontrer et tout récupérer une fois arrivés, sains et saufs, à Varsovie. Quand nous sommes arrivés à Varsovie, je suis allé le voir avec Shaye Openheim, qui m'avait donné de l'argent pour m'aider à survivre. Dans un premier temps Dobrzynsky nous a reçus très calmement, mais nous avons vite découvert ce qui l'intéressait : Il voulait que nous lui disions où était caché Shmuel Rosenberg. Il savait que Shmuel Rosenberg avait des parents riches, et il calculait que Shmuel devait avoir beaucoup d'argent. Quand nous lui avons dit que nous ne savions pas où était Shmuel, son ton a immédiatement changé et il a commencé à nous maudire, en criant «C 'est un péché pour moi de savoir que vous êtes encore en vie ! »

Nous avons immédiatement compris que nous étions en danger, je lui ai donc déclaré sèchement « Nous voyons à qui nous avons à faire maintenant, mais que Dieu vous aide si vous nous suivez. » Il comprit ce que je disais. Nous avions un revolver. Nous sommes descendus et sommes restés près de la porte pendant un moment, pour voir s'il allait nous suivre. Ce n'est que lorsque nous avons été sûrs qu'il ne nous suivait pas que nous nous sommes rapidement enfuis. Je note en passant qu'il n'a pas survécu à la guerre…

Il n'y avait pas loin de l'école Copernic à l'usine de Rudsky, et c'est là que je me trouvais. C'est l'endroit d'où je me suis échappé pour Varsovie. Depuis, l'usine s'est agrandie. J'ai parlé à Shubert, qui avait été mon superviseur lorsque j'y avais travaillé pendant un certain temps. J'étais reconnaissant de la générosité dont il avait fait preuve à mon égard. Il savait que j'appartenais aux partisans. Maintenant, en regardant le bâtiment qui abritait l'usine électrique, je pleurais les Juifs qui n'avaient pas accepté l'offre que je leur avais faite lorsque j'ai cessé d'y travailler, l'offre d'un fusil, pour qu'ils puissent se venger des Allemands en cas de rafle…

Ces souvenirs de l'occupation allemande ont été rapidement chassés de mon esprit par les problèmes actuels auxquels nous, les rares Juifs survivants en Pologne, étions confrontés de nouveau. J'étais sûr qu'une Pologne nationale démocratique après la guerre aurait été plus tolérante envers les Juifs que le gouvernement communiste ne l'était. La voie que j'avais choisie après la Libération s'est avérée si erronée, si stérile… Mes vingt-quatre ans de travail pour la « nouvelle » Pologne se sont révélées être une grande erreur. Je suis retourné à Varsovie, j'ai fait mes bagages et me suis préparé à partir. Pendant tout le trajet jusqu'à la frontière j'étais incertain : allaient-ils nous laisser sortir, ou allaient-ils nous arrêter ?

Le 25 novembre 1968 je suis arrivé en Israël.

 

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