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Déporté depuis Paris, évadé arrivé à Minsk…
mais, des juifs, il n'y en avait plus….

Elie Rotsztejn - Roten

Traduction JP Bryf

« Je suis le fils de Rivke Rokhl (Rebecca – Rachel), de la famille Trojna ». En 1942, ma femme Hinde Mendelson, notre fillette Sharlot et moi avons été déportés depuis la France. Le lendemain (de notre arrestation), nous étions des milliers de juifs à être poussés comme du bétail dans des wagons de marchandise. Dans chaque wagon, il y avait deux seaux. L'un avec un peu d'eau pour boire, l'autre pour servir de toilette. Dans le wagon, l'odeur était pestilentielle. Il est impossible de décrire les pleurs des enfants et les gémissements des vieilles personnes.

Après plusieurs jours de voyage, le train, dont toutes les portes avaient été plombées, s'est arrêté. Des SS en ont sorti un grand nombre d'hommes. J'ai fait partie des sélectionnés. On a été séparés de nos proches et on nous a embarqués dans des camions. Les lamentations de nos proches, lorsqu'on nous a arrachés à eux, étaient tels qu'on les a entendus pendant un long moment. On a su plus tard que le train, d'où les hommes en bonne santé avaient été débarqués, était allé directement vers les chambres à gaz à Oswiecim (Auschwitz).

 

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Elie Rotsztejn avec son enfant et sa femme exterminées

 

Moi et tous les hommes jeunes en bonne santé, sommes arrivés en camion dans un camp appelé Arenberg. Les conditions de travail dans ce camp étaient atroces. Les coups qu'on recevait étaient redoutables, et les chiens étaient spécialement dressés pour nous arracher littéralement des morceaux de chair. Pour ce travail pénible, on recevait peu à manger si bien qu'après quelques mois, nous n'étions déjà plus que la moitié de l'effectif. Ceux qui avaient survécu à cet enfer ont ensuite été envoyés dans un deuxième camp, celui de Lasi, près de Mieszków.[1] Là, on a construit un pont et une voie ferrée. Nos baraques étaient à six km du chantier. C'était l'hiver. Il faisait terriblement froid. Nos vêtements étaient dérisoires : en tout et pour tout, une vieille veste sur le dos, et aux pieds, qui étaient nus et enflés, des claquettes[2] qui collaient sur la neige gelée. Nos doigts gelaient. Beaucoup d'entre nous sont morts d'épuisement. Ceci a duré jusqu'en mars 1943. Un jour, on a commencé à entendre que le camp allait être liquidé et que ceux qui avaient survécu allaient tous être tués. J'ai décidé de m'enfuir.

Les travaux que nous faisions sur une portion des voies obligeaient les trains à ralentir… Cela a servi mon plan. J'ai réussi à sauter dans un train qui passait. Après quelques kilomètres, le train a longé un bois. J'ai sauté du train. La nuit je marchais, le jour je me cachais. Je voulais arriver au plus vite dans ma ville, Minsk-Mazowiecki.

J'ai marché de village en village. Un jour, j'ai fait la connaissance d'un polonais qui transportait de la nourriture en contrebande à Varsovie. Je l'ai aidé à porter ses paquets. Pour cela, il m'a payé le billet de train pour Varsovie. Lorsque notre train a approché de Varsovie, de loin on a vu des nuages de fumée et du feu. J'ai demandé ce que c'était. Des polonais m'ont dit que le ghetto brûlait depuis déjà trois jours, et que de lourds combats s'y déroulaient. Les Juifs ne se laissaient pas évacuer et résistaient. J'ai eu un moment de panique et tout mon corp s'est mis à trembler. Mais lorsque j'ai jeté un œil sur le journal que l'un des passager avait entre les mains, je me suis senti tout de suite un peu réconforté. Dans ce que j'avais réussi à lire, on parlait de trois jours de deuil dans l'armée hitlérienne suite au désastre de Stalingrad. J'ai repris courage.

Deux jours plus tard, je suis enfin arrivé dans ma ville. Dans la Varshever gass (rue de Varsovie), c'était terrible ! Plus aucun juif ! Toutes les maisons juives étaient murées, ainsi que les magasins dont les vitres avaient été brisées. Je me suis précipité à l'endroit où habitaient ma mère et ma sœur. C'était tout près de la maison où le Rav de Brisk[3] habitait dans le temps. Puis, je suis allé là où habitaient mes deux oncles et tantes. C'était la même chose! J'ai pris peur. Je suis parti à Stankowizna où je voulais voir un polonais qui connaissait bien ma famille. Pour ne pas être reconnu, j'ai évité de traverser la ville et suis passé derrière les petites cahutes[4].

Ce polonais m'a raconté que plus aucun juif n'était vivant. Y compris tous ceux de ma famille. (Après la guerre, j'ai appris que ce même polonais avait dénoncé des membres de ma famille qui étaient cachés chez lui).

Sans même prendre le temps de me reposer, je suis reparti. J'ai pris le chemin de la caserne pour me rendre au plus vite au cimetière juif. Le portail était brisé, les pierres tombales renversées et dispersées. Près du cimetière vivait l'attrapeur de chiens municipal. J'ai frappé à sa porte pour lui demander un verre d'eau. Il n'a pas reconnu que j'étais un juif et tout en me donnant à boire, il m'a demandé d'où je venais. Je lui ai dit que j'étais de Paris, que mon père était français, ma mère polonaise et que sa famille vivait dans les environs. Je lui ai également dit que j'étais prisonnier de guerre, que je m'étais enfui d'un camp de prisonniers et que maintenant je cherchais un moyen pour revoir ma famille.

C'est alors qu'il m'a demandé : « Est-ce que par hasard tu n'aurais pas connu Godl Kuratowski? ». Je lui ai immédiatement répondu que oui, je le connaissais et j'ai ajouté qu'on était même ensemble dans un camp de prisonnier (en fait, avant ma déportation, j'avais appris que Godl était dans un camp de prisonnier, en tant que soldat français).

C'est alors que l'attrapeur de chiens a commencé à me raconter des choses qui me seront effectivement confirmées après la guerre : Que Godl s'était enfui du camp de prisonniers et que, après avoir longuement erré, il était arrivé justement ici, au cimetière juif. Son père Layer avait été le fossoyeur du cimetière et avait été le voisin du Goy[5], l'attrapeur de chiens. Godl, ne retrouvant plus aucun des juif qu'il connaissait, était reparti dans un camp en ville. Là des juifs se sont révoltés et les allemands les ont tous tués. Godl, lui y a été gravement blessé et a réussi, avec ses dernières forces, à se traîner jusqu'au cimetière. L'attrapeur de chiens, le voisin de son père, a pris pitié de lui et l'a caché dans une niche à chien. Comme il ne pouvait pas lui trouver de médicaments, Godl, après quatre jours de terribles souffrances, est décédé et le voisin l'a enterré. Il m'a montré l'endroit où était sa tombe.

Lorsque la nuit est venue, je suis retourné en ville. J'ai pris la Kalushiner gass (rue de Kałuszyn), et je suis arrivé sur la place du marché ; de là par la rue du rabbin et la Shenitzer gass, je suis allé au camp Kopernik, là où, quelques mois auparavant, des juifs avaient résisté si héroïquement. Dans les cours des maisons, là où avaient habité les juifs, le sol était jonché de vieux vêtements, de livres saints. Dans la rue du rabbin, des morceaux de parchemins d'une bible jonchaient le sol. À la vue de tout ça, j'ai été pris de panique. Je me suis dirigé vers le bois. Là, j'ai réfléchi.

Que faire? De Minsk (Mazowiecki) jusqu'à Paris, c'est tellement loin! Mais je sentais bien qu'il n'y avait pas d'autre solution. Il fallait que je me mette en route. Après avoir erré pendant un mois sur les routes et les chemins, je suis tombé à nouveau entre les mains des allemands et je me suis retrouvé au camp de Częstochowa. C'est de ce camp que j'ai été libéré en janvier 1945 par l'Armée Rouge.

Notes de bas de page du traducteur

  1. Mieszków est un village polonais de la gmina de Trzebiel dans le powiat de Żary de la voïvodie de Lubusz dans l'ouest de la Pologne. (Wikipedia) Revenir
  2. Treppes : simples semelles de bois avec un bandeau pour retenir le pied Revenir
  3. Brisk : ancien nom de Brest-Livstock en Biélorussie. Revenir
  4. Bedlekh : forme yiddishisée du polonais Buda : petite habitation en bois, cabane. Revenir
  5. Le terme de Goy (héb. גוי, nation) d'origine biblique utilisé couramment en Pologne pour désigner les non-Juifs. Revenir

 

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