Introduction: Les libérateurs

Les révisionnistes et négationistes clament régulièrement que "les témoignages des survivants ne sont pas crédibles".

Cette affirmation faites par ceux qui tentent de nier des faits historiquement prouvés, passe sous silence le témoignage de milliers de soldats: américains, anglais, russes, et tous les autres qui libérèrent des centaines de camps partout en Europe. Certains de ces soldats se battirent et moururent alors qu'ils libéraient des milliers de prisonniers des griffes des nazis. Par définition, un libérateur est un militaire qui entra dans un camp nazi dans les premières 24 heures qui suivirent la libération du camp. Dans certains cas, les gardes SS résistèrent et tentèrent de lutter. Dans la plupart des cas, les gardes SS s'étaient envolés, sachant qu'ils auraient à faire face à un ennemi au courant des multiples atrocités commises.

La plupart des libérateurs éprouvent d'énormes difficultés à parler de leur rôle dans la libération des camps et de ce qu'ils y ont découvert: des centaines de cadavres gisant sur le sol, des survivants réduits à l'état de squelette, terrifiés et pourtant fous de joie parce que enfin libérés. De trop nombreux libérateurs ne parviennent pas à exprimer les horreurs qu'ils ont vu. La plupart refusent même d'en discuter.

Quarante ans de silence ont passé ainsi dans la vie d'un d'entre eux. Glenn Edward Belcher, soldat ayant participé à la libération de Dachau, a écrit à sa fille la lettre que vous aller lire. Comme souvent, Mr. Belcher n'a jamais rien dit à son épouse à propos de cette lettre. Sa fille voulait simplement mieux connaître son père.

Chuck Ferree


Lettre d'un libérateur

par Glenn Edward Belcher

20 Avril 1985

Chère Susan,

Tu m'as demandé de mettre par écrit tout ce dont je me souviens à propos de Dachau. C'est difficile. J'étais à Dachau il y a 40 ans aujourd'hui et, après toutes ces années je ne puis pas être absolument certain de ce que je crois avoir vu et fais.

Notre division (la 42ème division d'infanterie - environ 15.000 hommes) était en route pour la ville de Munich, et si je me souviens bien nous traversions toute une suie de plaines lors qu'apparut sur notre gauche ce qui semblait être une grosse usine entourée de larges murs -- d'après mes souvenirs cela a du être ma première vision de Dachau, même si à ce moment précis je ne le savais pas - nous ne nous sommes d'ailleurs pas arrêtés. Alors que nous roulions à travers ces plaines nous fûmes dépassés par ce qui m'a semblé être des centaines de chars américains. Plus tard, j'ai lu quelque part qu'il s'agissait du 20ème corps blindé et qu'ils avaient reçu l'ordre de nous dépasser et d'entrer les premiers dans Munich. Je me souviens de la poussière, du bruit et de la confusion qui régnaient alors - je me souviens aussi - Dieu sait pourquoi - que Dachau est situé à 17 kilomètres de Munich. Si cette distance est correcte ou non ou pourquoi je me souviens de cela, c'est quelque chose au-delà de ma compréhension.

Je ne sais plus où j'ai passé la nuit mais je me souviens très bien d'avoir été à Munich le jour suivant et d'y avoir trouvé un livre sur les Jeux Olympique de 1936 - je me vois encore regardant une photo de Jesse Owens. Puis, pour une raison inconnue, moi et plusieurs de mes compagnons de notre division nous dûmes monter à l'arrière d'un camion et nous quittâmes la ville en direction de Dachau.

Je ne sais plus combien de temps nous restâmes là-bas et ce que nous étions supposés y faire - mais je sais que nous fûmes renvoyés à Munich le jour suivant.

En vue de Dachau, nous ne vîmes d'abord rien d'inhabituel - juste de la fumée sortant de cheminées - et il était impossible de voir quoi que ce soit au delà des murs. Nous sortîmes des camions et marchèrent en direction d'un portail assez large pour laisser passer un véhicule. Avant d'atteindre le portail, nous vîmes une voie ferrée qui longeait les bâtiments ainsi qu'un long convoi de wagons à bestiaux. Les portes de certains wagons étaient ouvertes et, alors que nous nous en approchions, nous vîmes que ces wagons étaient remplis de cadavres squelettiques - il me semble qu'ils étaient empilés sur une hauteur d'environ un mètre. Alors que je longeais ce convoi pour atteindre le portail je découvris un soldat allemand mort et à ses côtés un fusil brisé en deux parties. Je me souviens avoir supposé que quelqu'un avis du briser le fusil en frappant à mort ce soldat.

Nous passâmes le portail et nous vîmes plusieurs personnes à l'intérieur du camp. De plus en plus de gens arrivèrent au fur et à mesure que la journée avançait. A ce moment précis je ne savais pas qui étaient tout ces gens mais j'appris plus tard qu'il s'agissait de correspondants de guerre - comme tu l'as appris durant tes études de journalismes, de nombreux correspondants de guerre accompagnaient les troupes de première ligne.

Juste après le portail, à notre droite il y avait un enclos emplis de chiens qui aboyaient à tout rompre - ils le firent tout le temps que je fus là. Je me souviens avoir espéré que personne n'aille les délivrer - cela, c'était avant que je ne découvre l'inimaginable. Jamais je n'ai vu aucune mention à propos de ces chien dans quelque livre que ce sois.
(note de Vincent Châtel: Chuck Ferree fait également mention de ces chiens dans son témoignage "La libération de Dachau").

Juste en face de nous, après avoir passé le portail, et à environ 20 mètres il y avait un fossé empli d'eau sur une profondeur de +- 1 mètre. Il y avait un soldat mort dans ce fossé. Juste après le fossé nous vîmes un grillage de fil de fer barbelé - je suppose d'une hauteur de 2 à 3 mètres - que je compris être électrifiée. De l'autre côté, il y avait un fossé d'environ 3 mètres de large te profond de 2 mètres. Passé ce fossé, il y avait les baraques et ceux qui y étaient enfermés.

Nous ne parlâmes pas aux prisonniers et ils ne nous parlèrent pas - il y avait entre nous le premier fossé empli d'eau, le grillage électrifié puis le second fossé. Nous les regardions et ils nous regardaient. C'était comme si ni eux ni nous ne savions que faire.

De notre côté du grillage, à droite de l'enclos aux chiens, il y avait la chambre à gaz et les fours crématoires où les gens étaient exécutés et brûlés. Il y avait des montagnes de cadavres squelettiques apparemment destinés à être incinérés.

Il y avait un long chemin cimenté et une voie ferrée sur la droite des fours qui longeaient le fossé et le grillage dont j'ai déjà parlé - cela longeait l'ensemble des installations et devait avoir une longueur de 1/2 - 1 kilomètre. A la fin de ce chemin je vis un grand chariot - le type de chariot que l'on peut voir dans des dépôts de chemin de fer. Il était empli de pain et était destiné aux prisonniers.

Pourquoi je me souviens de cela, je n'en sais rien - mais près de ce chariot il y avait un homme et une femme habillés en habits civils plutôt qu'en uniforme rayé comme les autres prisonniers. Tout deux semblaient être en bien meilleure santé que les autres prisonniers. Quelqu'un me dit qu'il s'agissait de Kurt Von Schussnig et de sa femme et qu'avant d'être enfermé à Dachau il avait été Chancelier d'Autriche. Que cela soit vrai ou faux, je n'en sais rien - mais cela m'est revenu en mémoire.

Avec le recul je me dis que nous aurions du immédiatement réagir et faire quelque chose pour soulager ces gens et les libérer de leur confinement - mais je crois que nous étions tellement choqués par ce que nous découvrions que nous étions littéralement paralysés. A ce moment, les seules personnes qui n'étaient pas immobiles étaient quelques prisonniers qui se jetaient contre les grillages électrifiés. Peu de temps après, des gardes furent placés pour les en empêcher - mais j'avoue que ni moi ni mes compagnons nous fûmes capables de faire quoi que ce soit.

Je t'ai déjà parlé de ces bouteilles oranges que nous avions moi et mes compagnons prises à Dachau et le fait que nous nous en étions débarrassés quelques jours plus tard. Je ne suis pas le seul à avoir agit ainsi. Je crois que tous ceux qui sont passés par Dachau ne demandaient plus qu'une chose: ne plus voir ces bouteilles et oublier tout cela le plus vite possible. Je crois qu'aucun d'entre nous n'y a réussi malgré le fait qu'a ma connaissance personne n'en a jamais parlé - moi y compris. Je n'en ai jamais fais mention, même dans le courrier que j'envoyais à ta maman.

En écrivant tout ceci je me rend compte combien tout cela fut absurde. Durant cette guerre, alors que nous traversions les territoires occupés par les allemands, nous rencontrions régulièrement des travailleurs forcés dans les villes et les campagnes. Nous fîmes ce qui était normal de faire: les libérer et il y avait de la joie chez chacun de nous, prisonniers et soldats. Mais, comme je l'ai dis plus avant, Dachau, c'était trop et tout ce dont nous étions capable de faire, c'était d'être immobiles et de regarder...

Le peuple juif et nous tous nous nous devons de continuer à lutter pour qu'on n'oublie pas des endroits tels que Dachau - même si en ce qui me concerne j'ai toujours essayé d'oublier cet horrible endroit... je n'y ai jamais réussi. Peut-être devrais je être aussi amnésique que Mr. Reagan.

Nos pensées vont à toi, à Franck et aux enfants.

Avec tout notre amour,

Maman & Papa

P.S. Tu m'as dit qu'écrire tout cela ne me prendrais qu'une demi-heure. Cela m'a pris 4 heures...