Hirshberg (Jelenia Gara)

par Jay Kuperman, survivant des camps de concentration de Hirshberg et Buchenwald.

Note: Hirshberg était un camp annexe de Gross-Rosen. On estime que plus de 70.000 prisonniers ont péri à Gross-Rosen ou dans ses camps annexes entre 1940 et 1945. Le texte original de ce témoignage a été écrit en anglais.


C'était fin août 1939. Mes parents, ma plus jeune soeur, mon frère et moi-même vivions dans une petite ville appelée Rybnik en Pologne, près de la frontière allemande. Mon père était féru de politique et souvent il nous avait exprimé sa conviction que l'Allemagne n'était pas capable de soutenir une guerre à cause des restrictions qu'elle engendrerait.

Mon père s'était établi à Rybnik en 1922. Il venait d'une petite ville située près de Radom, Zwollen, à environ 12 heures de route de Rybnik. Commençant à craindre pour la sécurité de sa famille, il nous envoya tous à Zwollen, pensant que les Allemands mettraient quelques temps à atteindre cette ville et que nous y serions jusque là en sécurité. Les Allemands bombardèrent la route menant à Zwollen le jour précédant l'invasion. Nous avons pris le dernier train quittant Rybnik, et il semblait que, tout comme nous, tout le monde voulait quitter la région frontalière. Nous sommes arrivés à Radom, un ville importante située avant Zwollen. De là, nous avions encore à voyager en chariot jusqu'à notre destination. Durand la nuit que nous avons passé à Radom, nous avons été interrogés par la Police Secrète Polonaise. Ils pensaient que nous étions des espions allemands. Le jour suivant, nous sommes enfin arrivés à Zwolen, la ville de naissance de mon père, où vivait la soeur de mon père et sa famille.

La plupart des maisons à Zwolen étaient construites en bois. Il n'y avait pas de chemin de fer, ou d'industries et la population était majoritairement juive. C'était un "shetl" typique. Cinq jours après notre arrivée, la Luftwaffe bombarda le village et le rasa jusqu'au fondations. Nous avons eu la chance de pouvoir nous enfuir dans la forêt, et nous y avons vécu deux semaines. Lorsque les choses se sont calmées, nous avons continué notre voyage vers le sud de la Pologne. Mon père était resté à la maison et s'inquiétait de notre sort. Il n'avait bien sûr aucune idée de ce qui nous arrivait. Il décida de partir à notre recherche à vélo. Sur le chemin du retour vers notre domicile, nous avons du passer par un aérodrome militaire plein d'allemands. Les Allemands nous arrêtèrent et nous fouillèrent. J'étais assez coquet à l'époque (j'avais 15 ans) et j'avais toujours sur moi un miroir de poche et un peigne. Le miroir de poche était brisé et un de ses côté était très coupant. Lorsque le garde allemand a découvert le miroir, il a voulu m'abattre sur place sans même donner une explication. Ma mère se mit alors à plaider pour moi et à les supplier de nous laisser partir. Après bien des explications, nous avons été autorisés à continuer notre route. Peu après, nous avons appris que de nombreux allemands avaient été découverts la gorge tranchée. Les gardes allemands suspectaient tout le monde, y compris un jeune gamin de 15 ans ayant en poche un miroir afin de pouvoir se faire beau pour plaire aux filles... Finalement, nous sommes arrivés à la maison, juste à temps pour découvrir que les véritables horreurs de la guerre avaient commencé.

Nous n'avons pas été autorisés à retourner à Rybnik parce que la ville avait été déclarée "judenrein". Seule ma mère pu entrer dans la ville afin d'essayer de vendre ses biens. Avec une soeur de ma mère, nous avons donc déménagé à Sosnowitz, à 50 km de Rybnik.Peu après la conquête de la Pologne, les allemands instituèrent le travail forcé. Comme tant d'autres, je devais me rendre très tôt le matin à un lieu de rendez-vous pour effectuer toute sorte de travaux manuels. Un an plus tard, alors que j'allais à la synagogue pour le Yom Kippur, j'ai été arrêté en rue par un officier allemand, conduit dans son appartement et forcé de laver le sol et de polir ses bottes. En 1942, la police rafla tous les hommes de plus de 14 ans et les rassemblèrent dans un immeuble, le quartier général de la Gestapo. Là, nous avons été examinés par un médecin allemand. Nous étions des centaines. Après l'examen médical, on nous a conduit dans une école supérieure pour la nuit. Le lendemain, nous étions embarqués de force dans un train et conduit vers un camp de travail forcé. Je n'ai même pas eu l'occasion de dire au revoir à ma famille. Mon père, lui, était déjà dans un camp de travail depuis 1940.

Nous sommes arrivés au camp de Sacrau et aussitôt forcés de construire des routes. Après 3 mois, on demanda des "volontaires" pour travailler en usine. J'ai pensé que cela serait moins dur que de travailler à construire des routes. J'ai donc rejoint les "volontaires", nous étions environ 50. Arrivés à Hirshberg, nous avons été logés dans une baraque et gardés par la police de l'usine. La SS a pris le camp en charge un peu plus tard,lorsque près de 1000 juifs furent déportés à Hirshberg. Le travail à l'usine était fort différent. Nous devions fabriquer de la laine artificielle à partir de bois, ainsi que du papier grâce à un procédé chimique. Le travail était extrêmement dangereux, on pouvait perdre à tout moment une main ou un bras dans les machines, ou encore mourir brûlé par une explosion. Les vapeurs de produits chimiques attaquaient le système nerveux et nombreux parmi nous ont perdu la raison. Nous travaillions 8 heures par jour et 12 heures le dimanche.

Pendant notre séjour au camp, nous avons tous été régulièrement battus. Un jour, j'ai été battu avec le manche d'une pelle et après cela, j'ai été incapable de marcher pendant plusieurs jours. Souvent, lorsque nous rentrions du travail, nous trouvions nos lits et nos matelas renversés et jetés à terre. Hirschberg était situé dans les montagnes et durant l'hiver, il y avait énormément de neige et la température tombait régulièrement à -20 degrés. Nous devions nous aligner en rang tous les matins pour l'appel et de nombreuses fois, nous avons été forcés de rester ainsi dans le froid des heures durant, juste pour amuser le commandant SS. Vu notre état, la plupart d'entre nous ne contrôlaient plus leurs fonctions corporelles, ce qui fait que nous étions régulièrement battus ou attaqués et mordus par les chiens des SS. Un des passe-temps favori des SS était de nous faire chercher des poux dans nos vêtements. Un jour, un des kapos a enfoncé un tuyau d'arrosage dans la gorge d'un jeune garçon, jusqu'à ce qu'il étouffe presque, juste parce qu'il avait trouvé un poux sur lui. Ce genre de traitement était habituel à Hirschberg. Ecrire sur papier tout ce qui s'y est passé prendrait des centaines de pages...

Alors que les troupes russes arrivaient à proximité du camp, nous avons été forcés d'évacuer le camp à pied. Nous avons marché pendant 2 jours et beaucoup de prisonniers moururent pendant cette marche. Je me souviens de cette marche comme s'il s'agissait d'un mauvais rêve. Mes jambes ne me portaient plus et j'ai été aidé par deux amis. Nous sommes arrivés à une gare et nous avons été embarqués dans des wagons ouverts. Nous étions 100 par wagons et le train voyagea ainsi une semaine. Nous n'avions ni eau ni nourriture, c'était l'hiver et il faisait glacial. Finalement, nous sommes arrivés à Buchenwald. J'étais tellement faible que je ne pouvais plus marcher. J'avais 21 ans et je pesais 40 kilos.

Sur les 1.100 prisonniers embarqués sur le train, seuls 400 avaient survécu.Le kapo qui avait failli tuer le jeune garçon avec un tuyau d'arrosage à Hirschberg avait été démis de ces fonctions. Il n'était plus qu'un prisonnier comme nous autres. Il a été tué, noyé dans une flaque d'eau. J'ai survécu et j'ai été libéré le 11 avril 1945. Cinq ans plus tard je suis revenu à Buchenwald. Il ne restait plus grand chose du camp original. Je me suis établi à Wuerzburg en Bavière, où j'ai vécu jusqu'en 1949. Après cela, j'ai émigré vers les Etats-Unis. J'ai trois filles et 8 petits-enfants. Deux de mes filles vivent près de chez moi et la troisième vit en Israël. Ma femme est américaine.

Jay Kuperman