Theresienstadt - Paradeisghetto

par Chuck Ferree


De gauche à droite: Vladislov Borsky, Dickie Ferree, Valie Borsky et Chuck Ferree

"Le cadeau d'Hitler aux juifs était le plus trompeur de tous les endroits où les nazis enfermèrent les juifs durant l'Holocauste." Hitler's "model" ghetto. (extrait du livre de Norbert Troller.) Son récit révèle aussi les horreurs qui se perpétraient derrière la façade d'un gouvernement juif "dissident", gouvernement que les nazis utilisèrent pour dissimuler leur plan d'extermination de la population juive dans un ghetto qui était supposé accueillir l'"élite" de l'Europe Centrale. En réalité, Theresienstadt ne fut rien d'autre qu'un endroit pratique pour rassembler les juifs avant leur déportation vers l'est: Auschwitz-Birkenau. La terrible tâche de remplir les transport avec le nombre requis de déportés fut imposée aux membres du Conseil des Anciens, tête de l'administration juive. Avec une fourberie démoniaque, les nazis définissaient le nombre des victimes à envoyer à l'est tout en faisant porter la responsabilité des sélections aux juifs eux-mêmes. Ainsi, les juifs devaient choisir d'envoyer à la mort leur propres amis, proches ou membre de leur famille. Cette situation cynique, insupportable, finit par détruire ceux qui furent chargés de faire les sélections.

A l'origine, Theresienstadt ("La ville de Thérèse) était une ville de garnison fondée en en 1780 en Tchécoslovaquie par l'empereur Joseph II en l'honneur de sa mère l'impératrice Marie Thérèse. Theresienstadt fut convertie en "ghetto modèle" lors de l'arrivée des premiers prisonniers juifs le 24 novembre 1941.

Lors de la déportation des juifs allemand, le ghetto fut utilisé comme un "paravent" à la déportation de juifs âgés incapables d'exécuter le travail forcé là où les camps d'extermination étaient situé, c-a-d à l'est.

Theresienstadt (Therezin) devint un point de rassemblement pour les juifs de Tchécoslovaquie, de Hongrie, d'Autriche, du Reich même ainsi que de déportés venant de nombreux autre pays occupés.

Sur plus de 140.000 personnes qui franchirent les portes de cette ville entre novembre 1941 et avril 1945, près de 90.000 d'entre-elles furent envoyées à la mort à Auschwitz-Berkenau ou d'autres camps d'extermination et près de 33.000 autres personnes moururent dans le ghetto lui-même. Seul 16.000 personnes survécurent.

Parmi les survivant, une femme tchèque de 81 ans avec qui j'ai passé deux jours et demi en avril 1993. Valerie Borsky arriva au camp en 1942 à l'âge de 29 ans. Elle fut libérée par les troupes soviétiques en avril 1945.

Sa soeur cadette resta près de huit mois dans le camp avant d'être envoyée à la mort avec 1000 autres déportés à Auschwitz sur ordre d'Adolphe Eichmann.

Sa mère âgée de 50 ans et son père âgé de 55 ans, tout deux en bonne condition physique, arrivèrent au camp en 1943. Malgré tous les efforts de Vali pour aider ses parents à survivre en volant de la nourriture, ils moururent tout deux de faim et d'épuisement après un an.

Theresienstadt est un camp tout à fait particulier, c'est en effet le seul parmi tous les camps qui fut l'objet d'une inspection officielle de la Croix Rouge (après mise en place par les nazis d'une "comédie" cynique destinée à rendre le ghetto présentable). Les déportés furent forcés de travailler des heures durant, nettoyant les rues et les maisons à la main, plantant des parterres de fleurs, peignant les façades avec des couleurs pastel. Des draps fais et de nouveaux vêtements furent fournis à l'hôpital en remplacement des immondes toiles qui y étaient habituellement utilisées. De nombreux patients âgés ou malades, y compris ceux qui avaient perdu la raison ou qui prétendaient être fou, furent envoyés à l'est pour gazage. Il fut fait de même pour des centaines d'enfants épuisés ou trop émaciés pour être "présentables". D'autres enfants, en bonne condition physique, furent apportés en vue de l'inspection. Ils furent tués peu après que la Croix Rouge aie rendu un avis positif sur les conditions de vie du camp. Tout fut fait pour donner l'illusion d'un "Paradeisghetto".

Les officiels de la Croix Rouge Internationale, après la visite soigneusement orchestrée des endroits que Eichmann désirait montrer, décida que les nazis disaient la vérité, que les prisonniers étaient traités humainement et par conséquent annulèrent leur inspections prévues à Buchenwald, camp allemand où plus de 250.000 prisonniers venant de 30 pays différents furent incarcérés. Près de 43.000 d'entre eux y furent tués.

De nombreux autres faits incroyables eurent lieu à Theresienstadt: on y joua des opéras (entre autre le requiem de Verdi) en présence d'Eichmann et de hauts dignitaires SS. Tous les musiciens furent ensuite déportés à l'est et exécutés. Parmi eux, un très grand chef d'orchestre.


Un cas personnel: Valie Borsky


L'entrée du camp

Valie arriva à Prague après le collège. Son travail dans une grande entreprise tchèque lui permettait de vivre à l'aise et de profiter des innombrables opportunités culturelles offertes dans cette Mecque de la musique, du théâtre, etc qui attirait les étranger du monde entier dans les années vingt et trente.

Valie passa les vingt premières années de sa vie comme une jeune femme active et heureuse, inconsciente comme tant d'autres des signes avant-coureur qui apparaissaient en Europe et qui allaient conduire à la mort des millions de juifs d'un côté à l'autre de l'Europe. Son destin fut scellé le jour où Adolf Hitler arriva au pouvoir, lorsque la machine de guerre nazie commença sa conquête de l'Europe et elle décréta la destruction de toute une population.

Valie fut arrêtée parce que juive et passa plus de quatre ans dans le camp de concentration de Theresienstadt, camps situé à environ 70 km de Prague. En 1941 prirent le contrôle de la ville (Terezin) et la transformèrent en camp de concentration pour juifs. Appelé ghetto, le camp eu une population moyenne d'environ 35.000 prisonniers en cinq ans d'existence. Le camp compta cependant près de 60.000 prisonniers en certaines périodes.

Les nazis trompèrent la Croix Rouge allemande, ainsi que de nombreux juifs aisés autrichiens et allemands qui crurent que Theresienstadt un plaisant lieu de séjour offrant de nombreuses activités culturelles, théâtres, cafés, et poussèrent des milliers de juifs aisés à payer un droit d'entrée pour vivre dans ce lieu "paradisiaque". Des brochures furent même publiées par les nazis, décrivant Theresienstadt comme une station thermale située le long d'une jolie rivière, avec des hectares d'arbres fruitiers, de superbes vallées et un climat parfait. Des centaines de juifs aisés allemands et autrichiens crurent à cette propagande et réservèrent un appartement avec vue. Il leur fut assurés qu'ils adoreraient cet endroit.

Valie travaillait au département des enregistrements responsable de l'établissement des listes de déportés pour la Pologne et la mort dans les chambres à gaz d'Auschwitz-Birkenau. Elle réalisa très vite que Theresienstadt qu'une salle d'attente pour ceux que les nazis destinaient à l'extermination. Le principal travail de Valie consistait à taper les noms des prisonniers destinés au transfert vers l'est. Travaillant de douze à quatorze heures par jour, Valie et ses co-détenus entrèrent les noms de plus de 100.000 venant de toute l'Europe sur près de 70 ou 80 listes. Hommes, femmes et des milliers d'enfants. Son propre nom apparu quatre fois dans les listes de transport . A chaque fois, son nom fut supprimé par ses compagnons de prisons, mais à chaque fois, une autre personne devait prendre sa place pour compléter le convoi.

Un des plan les plus cruel mis en place par les nazis à Theresienstandt fut la lamentable mise ne place d'un comité de sélection juif composé de soit-disant juifs élus et dirigé par un "Ancien"

Durant toute son existence, Theresienstadt eu de nombreux "Anciens" qui ne furent jamais que des marionnettes sans aucun pouvoir. Tous périrent, souvent fusillés avec toute leur famille après des semaines de torture. Autre "tour" inventé par les nazis; chaque liste de nom de prisonniers destiné au transport devait être soumis par les "Ancien" au commandant du camp. Celui-ci ne se souciait absolument pas des noms qui pouvaient y apparaître: son seul soucis était de veiller à ce que le "quota" de déporté soit rempli. Cette politique fut à l'origine de nombreux problèmes tout simplement parce que de nombreux juifs indispensable par leur travail ou leur connaissance à la survie du ghetto furent sélectionnés pour transfert par d'autres juifs qui ne les connaissaient pas; simplement parce que ces derniers avaient un quota à remplir endéans les 24H.

Les épouses étaient fréquemment volontaires pour accompagner leur famille et il n'était pas exceptionnel de voir des mères prendre avec elles leurs enfants vers ces transport, alors même qu'elles se doutaient que cela signifiait peut-être leur mort. Parallèlement à cela, de nombreuses autres familles furent séparées à jamais lorsque le père ou la mère ou les enfants apparaissaient sur les listes. Dans ce cas, rien ne pouvait plus être tenté pour les sauver une fois que la liste avait été approuvée.

On estime à 160.000 personnes le nombre de morts dans ce ghetto: par maladie, exécution et épuisement. Les parents de Vali arrivèrent fin 1941 accompagné de sa soeur cadette. Son père mourut à 55 ans d'épuisement, de désespoir et de tristesse. Sa mère mourut peu de temps après. Sa soeur, une superbe jeune femme blonde aux yeux bleu fut gazée à Auschwitz avant son 21ème anniversaire.

Valie tapa le nom de nombreux de ces amis sur les listes de la mort, y compris celui de son fiancé. Les années passée par elle dans le ghetto furent misérables, tout comme celles de tous ses co-détenus. Les poux étaient un problème de tous les jours parce qu'ils étaient source de typhus et d'autres maladies contagieuses. La faim ne la quitta jamais. Elle vola de la nourriture, juste assez pour ne pas mourir. Tous les prisonniers devinrent d'une maigreur effroyable et nombre d'entre-eux se laissèrent finalement mourir.

Valie m'a dit que voler de la nourriture était une chose normale et nécessaire, quel qu'en soit le risque. Certains prisonniers travaillant dehors ramassaient des mauvaises herbes en vue de les cuire. Bien sûr, les SS interdisaient ces pratiques mais les prisonniers continuaient. Valie m'a ainsi dit que les mauvaises herbes, une fois bouillies, avaient un goût proche de celui des épinards.

Les pommes de terre étaient un met de luxe alors que la nourriture habituelle n'était qu'un mauvais pain et une soupe inconsistante.

Valie vivait dans des baraques militaires, partageant la place avec d'autres femmes travaillant dans son département. Ils dormaient sur des paillasses déposées sur le plancher, recouvertes par une maigre couverture élimée sensée les protéger du froid pendant l'hiver. Nombre d'entre elles moururent de pneumonie suite au froid et à l'humidité durant les mois d'hiver.

Valie continua d'améliorer son menu en volant ou en échangeant des objets de toutes sortes pour obtenir de la nourriture. Elle fut finalement prise par les gardes en possession de pommes de terre, punie et sévèrement battue par des membres de la police tchèque du ghetto armés de bâton et de fouets, le tout sous le contrôle de SS.

Valie souffrit de terribles blessures lors de cette punition supervisée par un jeune officier SS qui encourageait les policier à la battre jusqu'à la mort pour "lui donner une leçon" Les blessures occasionnées par les coups de bâtons furent internes mais les conséquences les plus graves furent de multiples fractures aux bras, jambes, dos et épaules. Malgré des semaines de soins, les médecins juifs n'avaient pas le matériel et les médicaments nécessaire pour la soigner convenablement et les séquelles furent terribles puisqu'elle en sortit avec la colonne vertébrale déformée et une jambe plus courte que l'autre. Jamais plus elle ne put se redresser. Sa taille avait diminué de 10 cm et elle en restera handicapée à vie... pour trois pommes de terre et pour satisfaire le sadisme d'un SS.

De tels traitement étaient habituels, la brutalité de ses propres compatriotes n'étant surpassée que par l'inhumanité des SS. Quelquefois, la police tchèque était renvoyée et certains membres de cette police furent exécutés pour appartenance à la résistance. Une des raisons de leur remplacement fut la crainte du commandant de voir cette police devenir organisée et ainsi de créer des problèmes dans le camp.

Lorsque les allemands réalisèrent que les troupes russes approchaient de plus en plus de Prague, Adolf Eichmann reçut l'ordre d'Heinrich Himmler de mettre en place des chambres à gaz et de tuer toute la population du camp. Le gaz fut livré et un des bâtiment fut transformé en chambre à gaz. Le commandant se prépara à suivre les ordres reçus.

Le commandant, un autrichien (les trois commandants du camps furent autrichiens) du nom de Karl Rahm, fabriquant d'outil dans la vie civile, commença à s'inquiéter du fait que s'il suivait les ordres en gazant tous les prisonniers, il risquait une condamnation en tant que criminel de guerre. Ne voulant pas risquer d'être pendu, il retarda le plus possible l'exécution des ordres de gazage et réussit à s'échapper peu avant la libération du camp par les troupes russes. Rahm fut cependant capturé par les Alliés, transféré à Prague après la guerre, jugé par un tribunal tchèque et condamné à mort. Rahm fut pendu ainsi que d'autres impliqués dans les crimes commis à Theresienstadt.

Au même moment, les russes furent confrontés à une terrible épidémie de typhus endémique. Ils firent de leur mieux dans ces terribles circonstances et avec le moyens du bord. De nombreux prisonniers moururent cependant mais Valie a survécu.

Après une brève période de récupération, Valie se mit en route avec d'autre prisonniers vers Prague, espérant là-bas recevoir de l'aide du gouvernement. Les 70 km de trajet furent pénibles car de nombreux prisonniers étaient soit malades soit affaiblis par les années de mauvais traitement subis au camp.

Arrivée à Prague après une journée particulièrement pénible, Valie trouva un chaos total. Personne ne pouvait leur donner d'aide. Elle n'avait aucun argent, ne possédait que ses pauvres vêtements ainsi qu'une petite valise contenant quelques effets. Elle était démunie et sans espoir. Affamée et désespérée. Elle circula autour de Prague avec d'autres prisonniers récemment libérés, et trouva finalement la vieille synagogue de la ville. Là, elle reçut nourriture et un peu d'argent afin de louer un petit appartement qu'elle partagea avec une autre femme et son fils de 9 ans, tout deux aussi survivant du ghetto.

Tout ce dont une personne avait besoin pour survivre était rare, il n'y avait aucun travail à offrir, le pays avait été occupé pendant près de 5 ans et à présent les communistes essayaient de réorganiser le pays.

Valie parti vers l'Autriche ou elle trouva un emploi de domestique, et épargna afin de pouvoir quitter l'Europe. Comme elle me l'a dit textuellement; "Je ne voulais plus rien de l'Europe. Je haïssais mon propre peuple ainsi que tous les autres européens."

Elle réserva une place sur un bateau en partance vers l'Australie. Durant le voyage Valie rencontra un autre tchèque nommé Vladislav Borsky (son surnom était Tick). Ils tombèrent amoureux l'un de l'autre et se marièrent durant le voyage.

Vladislav n'était pas juif, et il avait survécu pendant la guerre en tant que fournisseur d'alcool, fournissant les troupes d'occupation en alcool quelquefois fabriqué par lui-même. Ingénieur de formation, Vladislav était un homme brillant et plein de ressources. Il était riche et lorsque le bateau atteignit l'Australie, il acheta une maison et trouva un emploi dans une usine d'aluminium. Plus tard, il fonda sa propre entreprise et prospéra.

Vladislav voulait retourner en Europe, ne fusse que pour une visite, ou même pour se réinstaller à Prague et y poursuivre sa carrière d'ingénieur. Valie refusa net et ils décidèrent d'aller aux Etats-Unis pour visiter des amis. Après cette visite, il décidèrent de s'installer aux Etats-Unis, à Oakland en Californie où Vladislav repris sa profession jusqu'à sa retraite.

Ils eurent un enfant, un garçon, qui suivi des études de médecine et devint ophtalmologue.

Ils ne retournèrent jamais en Europe malgré le fait que Vali aurait aimer visiter Prague une fois avant sa mort.

Valie, bien qu'en bonne santé si on excepte ses blessures, eu une crise cardiaque en août 1995 et mourut à l'hôpital au bout de deux jours.

Durant nos nombreuses conversations, elle n'exprima que peu d'aigreur ou de reproches envers quiconque. Son fils connaissait son passé, mais pas en détail. Elle avait toujours été répugnante à entrer dans les détails de sa terrible expérience et des souffrances subies sous les nazis. C'est parce qu'elle avait confiance en moi et qu'elle sentait que le temps pressait qu'elle partagea son histoire avec moi

En tant qu'homme étant entré dans les camps de concentration nazis peu après leur libération, ayant vu comment des millions de gens avaient été tués suite à la politique nazie, et étant retourné plusieurs fois en Europe, revisitant les endroits où j'avais vu tant de mort et de destruction, j'en suis arrivé à croire que même en visionnant les documentaires traitant de l'Holocauste, même en lisant les ouvrages décrivant les horreurs commises sur des millions de gens; si vous n'avez pas senti cette odeur écoeurante, personnellement vu les fosses remplies de cadavres, il est difficile de sentir la réalité de ce que représente l'expérience de Valie.

En 1994, nous avons visité Theresienstadt. J'ai marché sur les pas de Valie. J'ai visité les musées dans la petite forteresse, j'ai parcouru les souterrains où des centaines de prisonniers furent torturés et tués par les SS. Je suis hanté par les fantômes de Valie et des autres.

Valie est un ange à présent et elle est en paix. Jamais je n'oublierai cette gentille femme qui nous traita si merveilleusement, nous préparant des spécialité tchèques, et qui répondit patiemment à ma longue liste de questions concernant sa vie dans ce qui est connu comme le plus particulier de tous les camps de concentration. Pas vraiment un camp de la mort... juste une antichambre de l'enfer.

Chuck Ferree