Souvenir d'enfance
par Vincent Châtel

Réflexions personelles sur les crimes nazis
par Chuck Ferree


Vincent Châtel et Chuck Ferree (juillet 1998)


Souvenir d'enfance

"Papa, comment c'était dans les camps?". 1972. La veille, la télévision belge avait diffusé un documentaire sur les camps de concentration. J'avais 10 ans et je savais que mon père avait été déporté. En de très rares occasions, mon père parlait avec ma mère de ce qu'il avait vécu. Quelques mots, un souvenir puis le silence. Et comme beaucoup d'enfants, j'écoutais attentivement, même si je n'étais pas sensé entendre ce qu'ils se disaient.

"Tais-toi, je veux oublier!". La réponse cingla sur un ton ne souffrant aucun commentaire. Mieux valait ne pas insister. Mais ce jour-là, je ne compris pas pourquoi mon père m'avais rabroué. J'avais avec lui de longues discussions, il n'y avait pas de sujet tabou et, malgré mon jeune âge, il répondait à toutes mes questions sans mensonge ni hypocrisie. Alors pourquoi une telle réponse?

Aujourd'hui, je comprend. Comment aurait-il pu partager cela avec un gosse de 10 ans? Comment aurait-il pu partager cela avec qui que ce fut, si ce n'est un autre déporté? De son séjour en camp de concentration, je ne connaîtrai que sa douleur physique, ses vertèbres brisées, les traumatismes crâniens et les insupportables migraines qu'elles entraînaient... et un nom aussi: Vught, le camp où il fut déporté.

Quelques mois plus tard, mon père nous quitta. Peut-être aurait-il abordé le sujet avec moi s'il avait vécu quelques années de plus. Mais sa santé avais été ruinée par sa captivité et, malgré tous ses efforts pour nous accompagner mon frère et moi jusqu'à l'âge adulte, la maladie avait pris le dessus...

Nous voila en 1996 et j'ai enfin accès à internet. Une des premières choses que je fais est de me rendre sur un site de recherche. J'entre le mot "Vught" et la liste des sites concernés défile à l'écran: des hôtels, des musées, des dizaines de pages personnelles... et puis soudain les mots "Vught Concentration Camp" apparaissent. Je me rend sur le site et y découvre quelques photos prises à la libération du camp par les troupes canadiennes. Aussitôt, je me met à la recherche d'autres sites mais je ne découvre rien d'autre. Alors j'envoie des messages à des sites consacrés à l' Holocauste avec l'espoir de recevoir quelques renseignements sur Vught. Mais hélas, ils me répondent qu'ils n'ont jamais entendu parler de ce camp. Et je comprend enfin: Vught n'étais qu'un petit camp, un camp parmi les centaines d'autres qui formaient la nébuleuse concentrationnaire nazie...

Au cours de ces semaines de recherches, j'entre en contact avec un vétéran américain qui a participé à la libération de camps de concentration: Chuck Ferree. Nous échangeons du courrier, parlons de nos expériences personnelles et, petit à petit, nous devenons amis. Et puis, un jour, l'idée nous viens de faire un site consacré aux petits camps. Beaucoup de recherches, pas mal de travail, des découragements parfois devant la difficulté de trouver des informations... mais aussi une belle aventure!

Ce site est dédié à la mémoire de mon père, Edmond Châtel, ainsi qu'à toutes les autres victimes de l'Holocauste ou du fanatisme, d'où qu'il vienne.

Vincent Châtel


Edmond Châtel (1902 - 1972)


Réflexions personnelles sur les crimes nazis

par Chuck Ferree (Témoin de l'holocauste et libérateur)

Le 8 mai 1945, les forces alliées acceptaient la capitulation sans conditions de l'Allemagne nazie. A cette date, plus de onze millions de civils avaient été assassinés de sang-froid depuis l'invasion de la Pologne en 1939. Parmi ces onze millions de victimes, il y avait plus de six millions de juifs.

Tchèques, Français, Grecs, Italiens, Polonais, Russes et Serbes font partie des millions de civils tués lors d'actions de représailles ou lors d'exécution massives. Mais seul les juifs ont fait l'objet ont fait l'objet d'une persécution systématique dans chaque région, ville, village ou hameau des territoires occupés par les nazis. Le but des nazis était de s'assurer qu'aucun juifs ne survivrait. Et était juif quiconque avait un parent juif. Un simple parent ou même grand-parent.

Un accident d'avion occasionnant la mort de 350 personnes est une catastrophe. Le meurtre de plus de onze millions de civils par les nazis est une statistique. Aucun être humain ne peut vraiment appréhender ce que représente le meurtre d'un tel nombre de personnes assassinées parce que Hitler décida que ces gens étaient des sous-humains, de la vermine ou simplement parce qu'il les considéraient comme inutiles dans son plan pour la création d'une "race des seigneurs".

Ce n'est que lorsqu'on est confronté directement aux souffrances infinies qu'on subies les victimes, lorsqu'on est face à face avec un survivant, ce n'est qu'à ce moment là qu'on peut alors comprendre ce qu'a entraîné la perversion haineuse d'Hitler et de ces complices.

Une femme, torturée par les médecins nazis, brûlée par une exposition prolongée à une source intense de rayons X afin de la stériliser. Une mère regardant impuissante son enfant jeté dans un brasier où des centaines d'autres corps brûlent, un père forcé d'assister à l'exécution de sa femme et de son enfant par un soldat allemand: une balle dans la tête et la cervelle qui éclabousse tout, y compris l'uniforme du soldat. La mort lente par épuisement ou famine des vieillards, précédant de peu la mort de leur enfants un peu plus résistants. Tous moururent par famine, des familles entières. Juifs humiliés, questionnés et torturés par des barbares SS qui prennent plaisir à la vue de leur souffrance et de leur malheur et qui, finalement, les achèvent par une balle ou par des coups.

Des mères encore, vêtement arrachés, nues dans le froid, serrant contre leur sein leur bébé, poussées par des gardes SS accompagnés de chiens vers la chambre à gaz. Le gélules de Ziklon B qui tombent dans les conduites d'aération et qui se transforment rapidement au contact de l'air en gaz mortel. Certains meurent vite, d'autres crient, hurlent sous l'effet de la panique. Les défécations lorsque la mort prend le dessus. La fouille de ce qui n'est plus qu'un monceau de chair humaine par les déportés du sonderkommando, la recherche des dents en or, le rasage des cheveux en vue d'une utilisation "rationnelle" par l'industrie SS...

C'était cela, l'Holocauste. C'était cela le sort réservé à plus de six millions d'innocents. Ni remords, ni pitié.

Ils ont juste fait leur "travail", leur "devoir". Mais ils l'ont fait consciemment.

Chuck Ferree